Véritable poumon vert dans un quart nord-ouest de la France relativement peu boisé, les forêts de Rouen contribuent largement à l’identité de la vallée de la Seine où se mêlent indissolublement nature et patrimoine. Situé entre Rouen et Le Havre, le parc naturel régional des Boucles de la Seine Normande a été créé en 1974 et s’étend sur 80.000 hectares. C’est au sein de ce dernier que la rédaction d’Aleteia a décidé de faire une halte… culturelle et spirituelle. « L’association entre le fleuve, la ville et la forêt forme des paysages typiques des boucles de la Seine normande, émaillés par un chapelet d’abbayes », détaille ainsi l’ONF.
La Normandie, terre d’abbayes
Les abbayes sont en effet omniprésentes dans le paysage normand. Les ermites et les missionnaires y furent les précurseurs du mouvement monastique. « Les premiers monastères de Normandie eurent souvent pour origine un modeste ermitage », explique le site de l’association Abbayes normandes. « Les récits hagiographiques du VIe siècle évoquent des fondations destinées à l’évangélisation des populations saxonnes de la zone côtière ». Mais c’est un siècle plus tard, au VIIe siècle, que les fondations monastiques fleurissent à foison en Neustrie (le royaume franc correspondant à l’ancien royaume de Syagrius, au nord-ouest de la France actuelle, et qui a initialement pour capitale Soissons, ndlr). Quelques-unes se situent dans la tradition des fondations royales inaugurées au siècle précédent par la dynastie mérovingienne.
C’est le cas du grand monastère bénédictin de Jumièges, qui fut construit en 654 par saint Philibert, abbé de Rebais et ami de l’évêque saint Ouen, après une donation de Clovis II et de sa femme sainte Bathilde. Dès sa création, sous saint Philibert, l’école monastique liée à la bibliothèque est, avec celle de l’abbaye Saint-Wandrille de Fontenelle, l’une des plus réputées de Neustrie. Son influence va jusqu’en Angleterre et dépeuple parfois d’autres monastères ! Vers 700, à l’époque la plus glorieuse et la plus prospère de Jumièges, il y aurait eu 900 moines et 1 500 serviteurs qui « par leur travail défrichent les terres, les transforment en jardins, vergers, culture, prés et vignobles ».
Mais le 24 mai 841, les Vikings incendient le monastère carolingien avant de revenir et de le piller. Devant la menace scandinave, les moines s’exilent, emportant les reliques et les manuscrits les plus précieux. La renaissance viendra quelques siècles plus tard, en 1067, lorsque l’archevêque de Rouen, le bienheureux Maurille, consacre solennellement la grande église abbatiale de Notre-Dame de Jumièges, en présence du duc de Normandie Guillaume le Conquérant qui donne des biens anglais à l’abbaye.
« Plus belle ruine de France »
Petit saut temporel. Durant les guerres de religions, pendant la seconde moitié du XVesiècle, les Huguenots, qui ont ravagé Rouen, Dieppe, Le Havre et Caudebec, arrivent aux portes de Jumièges. À la Révolution, comme bien des bâtiments religieux, l’abbaye est vendue au titre des biens nationaux et devient une carrière de pierres. Au fil des années, l’abbaye de Jumièges est peu à peu laissée à l’abandon. Son salut viendra pour une partie de la période romantique : l’abbaye connaît une renommée importante grâce à Victor Hugo qui la surnomma « la plus belle ruine de France ». En 1947, deuxième temps de son salut, elle redevient propriété de l’État puis propriété du département de Seine-Maritime soixante ans plus tard. De lourds travaux de consolidation sont alors entrepris.
Que retenir de cette abbaye ? Elle demeure l’un des plus anciens et des plus importants monastères bénédictins de Normandie. S’il ne reste aucun vestige apparent de l’époque de sa fondation au VIIe siècle, du haut de ses tours blanches, qui s’élèvent à presque 50 mètres au fond d’une boucle de la Seine, neuf siècles d’architecture nous contemplent.