Suite à l’article d’Evangelizzo que nous proposions à nos lecteurs à l’occasion de la présentation de Marie au Temple, le professeur Thelamon, spécialiste de l’antiquité tardive et des premiers temps du christianisme a souhaité réagir du pont de vue de l’historien sur l’origine de cette fête. Un cheminement passionnant qui nourrit tout autant la foi que la culture.
(Reprise d’un article de décembre 2016, dans le cadre de notre mois d’août consacré à Marie)
C’est dans le Protévangile de Jacques, un des plus anciens évangiles apocryphes, que se trouve la première mention de la présentation de Marie au Temple. Cet ouvrage en grec, attribué à Jacques le Mineur, « fils de Joseph le charpentier », dont le titre d’origine est la Nativité de Marie, date de la fin du IIe s. Clément d’Alexandrie et Origène, au IIIe s., y font allusion. Il est considéré comme un « midrash chrétien » qui permet de progresser dans la compréhension des Écritures et de fortifier la foi. Il connut une extraordinaire diffusion et exerça une influence considérable sur le développement de la piété mariale, la liturgie et les représentations artistiques. S’il a toujours été admis par les Églises d’Orient, il fut condamné en Occident, avec les autres apocryphes considérés comme émanant d’hérétiques ou de schismatiques, par le décret du pape Gélase au VIe siècle.
Néanmoins ces textes dits « apocryphes » témoignent de la foi et des croyances des communautés chrétiennes à un moment donné et sont susceptibles de refléter d’anciennes traditions orales. Ils sont évoqués par les écrivains ecclésiastiques lorsqu’ils paraissent transmettre une mémoire juste ou un enseignement utile à la foi et à la piété. Mais le risque d’hétérodoxie voire d’hérésie conduit aussi à les rejeter.
Le contenu du Protévangile de Jacques fut, avec d’autres textes, repris, remanié, augmenté et corrigé en latin dans L’Évangile de l’Enfance dit du Pseudo-Matthieu, fin VIe-début VIIe s., qui – la tradition ayant évolué – donne une plus grande place au merveilleux. Si son prologue original le réfère, lui aussi, à Jacques, un autre prologue qui figure dans une autre famille de manuscrits à la fin du VIIIe siècle, le met sous l’autorité de Matthieu. Il est alors indûment cautionné par une prétendue lettre de saint Jérôme répondant à une lettre tout aussi fausse de deux de ses amis, les évêques Chromace d’Aquilée et Héliodore d’Altinum, lui demandant de traduire en latin un livre écrit en hébreu par Matthieu sur l’enfance de Marie ; tous trois vivaient au … IVe s. ! Cette caution est évidemment fallacieuse.
Le Protévangile de Jacques et plus tard le Pseudo-Matthieu veulent attester la filiation divine de Jésus en établissant la qualité de sa mère : fruit d’une naissance miraculeuse, dès trois ans élevée dans le Temple où elle fait vœu de virginité, elle devait être reconnue innocente de cette grossesse d’origine non humaine qui donnait lieu aux attaques et calomnies les plus basses, comme on le voit dans le Discours vrai, du philosophe païen Celse, vers 178, réfuté au IIIe siècle par Origène.
Dans le Protévangile de Jacques, l’entrée de Marie au Temple est traitée fort brièvement (ch. 7) ; elle y demeure jusqu’à l’âge de douze ans. Le Pseudo-Matthieu (ch. 4 à 6) est plus prolixe. Marie déjà élevée dans la maison familiale comme dans un sanctuaire, sevrée à trois ans, est conduite au temple par ses parents pour être confiée à la communauté des vierges : « Elle monta en courant les quinze marches du temple sans regarder en arrière ». Cette scène a été abondamment représentée. Est alors développée la règle de vie monastique qu’elle s’est imposée et qu’elle suit avec zèle, une règle conforme à celle menée dans les couvents au VIIe siècle : liturgie des heures, travail manuel et prière. Ses qualités sont exaltées : elle est « la plus instruite dans la connaissance de la Loi de Dieu, la plus humble en humilité, la plus admirable dans les cantiques de David, la plus empressée en charité, la plus pure en chasteté, la plus parfaite en toute vertu […] Sans cesse, elle bénissait Dieu et, pour ne pas être interrompue, même par un salut, dans la louange du Seigneur, chaque fois qu’on la saluait, elle, à son tour, disait en réponse : Deo gratias » Et l’auteur de commenter : « Ainsi, c’est d’elle qu’est venu l’usage des hommes pieux de répondre Deo gratias quand ils se saluent entre eux » ; ainsi est donné un ancrage marial à un pieux comportement préconisé par saint Benoît au VIe s. (Règle, 66). En outre, Marie qui nourrit les pauvres et guérit les malades, était, elle, nourrie chaque jour par un ange et « souvent on voyait des anges s’entretenir avec elle et ils lui obéissaient ». C’est dire que Marie atteignait dans le Temple cette « vie angélique » (bios aggelikos) à laquelle, en Égypte, aspirent les Pères du désert au IVe s. et qui la préparait à être la mère virginale de l’Enfant-Dieu.
Ainsi se construit, par une sorte de méditation qui exalte Marie, un récit édifiant qui met en exergue sa virginité et toutes les qualités dont elle est dotée quasiment dès sa conception, pour garantir l’origine divine de la naissance virginale de son fils, au début de deux récits dont l’objet principal est de traiter ensuite de la naissance divine et de l’enfance de Jésus.
Image, Présentation de Marie par Le Titien