Depuis de nombreux mois, nous assistons à un curieux relent des années 60. “Pharisien” devient pour une certaine frange de la population catholique l’équivalent de fasciste pour la gauche internationale. Épouvantail des derniers mois, le pharisianisme est comme le sceau de l’ostracisme, le couperet fatidique qui coupe court à toute discussion, si tant est qu’il y en ait jamais eu une possible avec les manieurs habiles de la faucille tranchante de l’ostracisme.
Avec Jean-Paul II et Benoît XVI, nous avions peu à peu assisté à un retour de la raison, c’est-à-dire, du simple dialogue posé et argumenté. L’argumentation théologique, le discours philosophique, bref ce poumon de la foi et de la raison permettait à chacun de s’exprimer et surtout à ceux qui ne savaient pas de se taire (suivant en cela l’invitation de Pie X). L’argument d’autorité est celui du faible. L’ostracisme, dès son origine antique, avait pour but d’exiler les têtes qui dépassaient trop. Aujourd’hui, comme hier dans la “démocratique Athènes“, l’exclusion est la seule force de celui qui, à court d’arguments, ne sait appuyer ses idées sur la raison.
Alors, voilà, nous sommes aujourd’hui revenus 50 ans en arrière et le sentimentalisme superficiel tente d’étouffer l’argumentation raisonnée, celle qui unit foi et raison. Si vous avez le malheur d’avancer un argument théologique, pour émettre une infime réserve sur telle ou telle position, vous êtes foudroyé par l’aile superficielle qui, se dispensant de réfléchir et effrayée à l’idée de la discussion, vous lance le point barre des fins de partitions : pharisien.
Pharisien ? Mais savent-ils seulement ce qu’est un pharisien, eux qui le brandissent à tour de bras ? Le pharisien est celui qui pense se sauver par l’application rigoureuse du rite et de la prescription juridique, comme si ceux-ci avait une magie opérante par eux-mêmes. Alors que ceux qu’ils fustigent sans réfléchir ne font que rappeler, comme Jésus, des vérités de foi les plus élémentaires.
Sous le foudroyant “pharisien” prononcé quasi ex cathedra par les intégristes de la miséricorde incomprise, nous assistons en réalité à la démission de la raison et, par là, au démantèlement de la foi. Pour ne pas entrer dans la polémique ad hominem, je ne citerai aucun de ces auteurs nominativement. Il suffit d’aller voir le vide intellectuel qui alimente ces ostracismes, lesquels n’ont rien à envier au totalitarisme des gauches politiques, pour se rendre compte de la superficialité de leur émoi. Du reste l’intelligence réelle ne refuse jamais le dialogue, parce qu’elle aime trop la vérité. La Charité véritable ne réduit pas à grand renfort de couperets parce qu’elle n’a d’autre but que de conduire l’autre à la lumière. Au contraire, l’indigence d’esprit, comme l’orgueil, se confortent dans la fuite derrière des murs opaques. La fausse charité se donne bonne conscience à coups de sentimentalisme.
Le véritable pharisianime n’est pas là où d’aucuns le placent. La vraie charité ne peut se trouver dans le refus de la raison. L’anti-pharisianisme d’aujourd’hui n’est finalement et malheureusement que la posture sécuritaire d’une survivance moderniste curieusement “conservatrice”.
Alors qu’on invective “l’autre” comme pharisien, soit, mais que cette injonction soit une invitation à débattre de la vérité et non du sentiment. Faute de cette charité évidente, nous nous apprêtons à vire de nouvelles et violentes ruptures dans l’Eglise, ce dont le démon se frottera les mains, lui qui abhorre la lumière et chérit autant le mensonge que la division. Et utiliser une soi-disant « ouverture » du pape François pour conspuer « les pharisiens » n’est pas la moindre de ses chausse-trappes, dans laquelle tombent ceux qui ont bien envie de s’y précipiter.
Cyril Brun, rédacteur en chef