Dans cet âge où aimer se conjugue à l’éphémère, nous avons perdu de vue qu’aimer est d’abord un acte avant d’être une émotion. Un acte qui suppose un mouvement hors de soi, tout autant qu’un mouvement en soi. Aimer c’est en effet se donner à un autre, mais pour se donner encore faut-il être reçu. Aussi aimer est un acte double de don de soi et d’ouverture de soi. Ouverture pour laisser passer le don que nous faisons de nous. Ouverture pour laisser entrer le don de l’autre qui nous est fait. L’amour est donc un double mouvement de don et d’ouverture, c’est-à-dire de don et de réception. Il n’y a pas d’amour vrai sans ce double mouvement. Fondamentalement, aimer c’est aussi être appelé par l’autre. Quelque chose nous a touché et a sollicité en nous le désir. Mais si ce désir n’est pas aussi don, il est captateur de l’autre pour moi. Finalement, je n’aime pas l’autre pour lui, mais pour ce que j’en retire moi. La relation qui se dit amour n’est finalement que possession en vue de la jouissance jusqu’à consommation, c’est-à-dire disparition des effets de cette usage de l’autre. C’est une des visions modernes de l’amour qui n’est autre qu’un paravent de bonne conscience à l’hédonisme. Cette forme précise de l’hédonisme qui entend ne se priver de rien pour son plaisir. Un plaisir vu non comme l’absolu du bonheur, mais comme la satisfaction, toujours à renouveler, parce que volatile d’un certain bien-être qui ne supporte pas le vide, le manque, entendons, la souffrance. L’hédonisme des temps modernes est compensatoire. Il tente de combler un vide plus existentiel, précisément celui de l’amour authentique du don et réception qui, lui, est profondément comblant.
Corollaire ce cet hédonisme sécuritaire, avez-vous remarqué ce que la société met sous l’expression « aimez-vous les uns les autres » ? Que nous reproche-t-on lorsque nous refusons les PMA, GPA, avortements, euthanasies et autres mariages pour tous, sinon de ne pas avoir de cœur, de ne pas aimer. L’incompréhension de nos contemporains porte sur le fait que nous refuserions de soulager la souffrance des autres. De glissement en glissement, la nouvelle norme de l’amour en société n’est pas l’hédonisme en lui-même, mais l’éradication de la souffrance. Aimer son prochain, n’est pas d’abord un acte de don et contre don, ni une recherche du mieux pour lui, mais éradiquer sa souffrance. Tels sont les « éléments de langage » amoureux de toute la dynamique actuelle de la culture de mort