Tout commence un premier janvier, non en Mars, mois du dieu de la guerre, ou au temps des semailles, ou peut-être le 14 juillet, à moins que ce ne soit à Pâques, à Noël ou aux premières vêpres de l’Avent… Voici bien des dates inaugurales et cycliques qui célèbrent chacune quelque chose de nouveau. Car si le temps est linéaire et se déploie inexorablement dans un mouvement inauguré par la Création, il est aussi incontestablement cyclique. C’est même parce qu’il tourne qu’il avance, cycle après cycle. Chaque civilisation reçoit cette vérité à sa façon et du Soleil égyptien qui renait chaque matin, comme un mouvement clos sur lui-même à l’éternité de l’enfant Jésus qui bouleverse la temporalité même, le vécu quotidien du temps et de son écoulement n’est évidemment pas le même. Dans nos civilisations occidentales, nous sommes de plus en plus éloignées de la réalité du temps de la nature qu’il s’agisse du cycle saisonnier ou du dialogue jour nuit que nous savons amoindrir par la technologie. Le temps désormais millimétré par les secondes et les agendas, n’est plus perçu comme la mesure du mouvement, mais comme le découpage d’une frise. Pourtant, fondamentalement, le temps c’est un mouvement. Un mouvement dans lequel nous passons d’un état A vers un état B. J’étais là-bas, je suis ici ; j’étais enfant, je suis vieillard. Le temps est la mesure du déploiement continuel du monde et donc, de chacun de nous. C’est du reste bien pour cela qu’il est à la fois linéaire et cyclique. Nous ne nous étirons pas dans le temps, nous déployons notre être même. Mais ce déploiement n’est pas chaotique ou tendu vers le néant, il est ordonné par le temps lui-même vers la fin ultime de son mouvement : l’éternité.
L’éternité, si elle se confond avec la fin des temps, c’est précisément parce que l’éternité ne connaît pas de changement. Elle est stable dans l’être, à l’image de l’Eternel. Telle est le rappel de la venue du Christ éternel dans le temps, pour, non pas briser l’absurde cyclique d’un temps s’écoulant sur lui-même, mais réordonner ce temps, ce mouvement, ce dépliement, à sa fin ultime : l’éternité en Dieu. Tel est le sens du temps liturgique. Loin d’être la simple commémoration, nécessaire à la finitude de l’homme pour réchauffer sa tiède passion pour Dieu, l’année liturgique maintient l’éternité dans le déroulement cyclique de la ligne du temps. C’est une sacralisation du temps lui-même et non une strate spirituelle surajoutée au temps profane des hommes. L’éternité s’est incarnée dans le temps, modifiant ainsi profondément sa nature même.
Aussi, Noël nous appelle à changer notre rapport au temps et à l’espace, dans lequel se déploie le mouvement que mesure le temps. Depuis les premières vêpres de l’avent, notre tempo s’est un peu modifié, par habitude, tradition, par un effort que nous nous plaisons à tenir un mois durant. Mais si notre rapport au temps liturgique n’est qu’un habillage momentané, si sincère soit-il, nous n’aurons pas même donné une parenthèse à l’éternité. Elle ne sera pas plus que la guirlande qui habille le sapin et que l’on retire à la chandeleur. L’Avent est bien une attente, et donc un écoulement du temps tendu vers une nouvelle étape qui n’est autre que ce changement radical du rapport au temps. Vivre sous les guirlandes symboliques de l’éternité n’est pas recevoir la sève même qui donne au sapin la vie et à l’Homme, l’éternité.
Cyril Brun, rédacteur en chef.