L’édito – La violence ne vient pas de la paix

L’édito – La violence ne vient pas de la paix

« Crie à pleine gorge ! Ne te retiens pas ! Que ta voix résonne comme le cor ! Dénonce à mon peuple ses fautes, à la maison de Jacob ses péchés. Ils viennent me consulter jour après jour, ils veulent connaître mes chemins, comme une nation qui pratiquerait la justice et n’abandonnerait pas la loi de son Dieu » Is 58, 1-2

Quand on sait l’accueil que le peuple juif réservait à ses prophètes, il n’est pas impossible qu’entendant ces paroles Isaïe ait eu de longs moments d’angoisse. Car que demande Dieu à son prophète sinon d’aller appuyer là où ça fait mal pour son propre peuple. Il ne s’agit pas d’aller dire aux nations ‘convertissez-vous’, mais de pointer l’aveuglement du peuple élu. Ce peuple qui vient, presque l’air de rien, se disant « Dieu ne voit pas », ou, le temps passant, ne voyant plus lui-même qu’il s’est éloigné de Dieu. Il s’est fixé dans ses habitudes, il s’est accoutumé au mal et a fini par se faire à l’idée que ce mal était bien. Mais la piété du peuple juif ne dupe pas le Seigneur.

C’est pour réveiller le peuple aveuglé par ce mauvais pli qu’il ordonne à Isaïe de « crier à pleine gorge ». Prophète de malheur importun qui vient bousculer nos habitudes, notre confort, nos certitudes et finalement l’image divine progressivement rendue opaque par notre éloignement de Dieu.

Et retentit en écho aux cris d’Isaïe la plainte de Dieu adressée par Osée, « mon peuple périt faute de connaissance ». (Os 4,6) Parce que le peuple a perdu Dieu de vue, parce qu’il ne le fréquente plus, il ne le connaît plus. Cet éloignement revient à construire un veau d‘or, c’est-à-dire un Dieu approximatif, reconstitué à partir de matériaux humains et fait de mains d’hommes. C’est ce qui arrive chaque fois que nous prétendons savoir mieux que Dieu, c’est-à-dire lorsque nous commençons à relativiser sa Parole. Bref, probablement des centaines de fois. En tout cas à chaque fois que nous préférons remettre Dieu en cause plutôt que nous-mêmes.

Voilà pourquoi Dieu envoie sans cesse ses prophètes résonner comme sonne un cor. Mais le Christ Lui-même constate que les prophètes ne sont pas reçus par son peuple. Un peuple enfermé dans ses certitudes humaines et qui ne se laisse plus rejoindre par la voix de Dieu et plus tard pas davantage par son Verbe. « Les siens ne l’ont pas reçu », dit tristement le prologue de Saint Jean. Dieu se révèle par sa parole qui fut d’abord à l’œuvre dans les prophètes puis en son Fils, Verbe fait chair.

Les pères de l’Eglise nous ont appris à voir dans le peuple hébreux, non seulement une histoire sainte, mais le type de la vie de chacun d’entre nous. Le peuple collectivement, c’est aussi nous personnellement. Combien de fois sommes-nous pleins de nos certitudes, combien de fois pouvons-nous recomposer de mémoire le visage d’un Christ défiguré, simplement parce que nous périssons de l’intérieur, faute de connaître et fréquenter Dieu ? Combien souvent l’orgueil nous place au-dessus du Verbe Lui-même, au point de nous rendre sourd au cor sonnant des prophètes ?
Cet appel d’Isaïe, lu à l’office de None du 4ème mardi de carême, nous rappelle opportunément que cette « hommerie » est bien ancienne, mais qu’elle a une seule et même racine, l’orgueil, qui rend sourd au Verbe, aveugle à la vérité, incapable de remettre en cause nos propres sécurités. Les prophètes redoutaient d’aller trouver le peuple pour le rappeler à l’ordre, tant il est vrai qu’il peut être d’une violence inouïe.
Cette simple violence devrait pourtant être une piqûre de rappel. La violence ne vient pas de la paix. C’est un fruit pourri du mal-être dont la braise est attisée par le démon lui-même. Nous devrions nous sentir interpellés par la violence de nos réactions, dans la mesure où elles révèlent un point sensible. Si cette violence est d’abord un point de foi qui nous dérange, alors elle est peut-être cette voix du prophète qui crie à pleine gorge. Car celui qui est dans la paix ou la quête véritable du Seigneur se met dans ses pas au point de vouloir faire siennes les paroles du maître, « Je suis doux et humble de cœur ».

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