La mort, ce corollaire inséparable de la vie de tout être créé, n’a pas toujours été l’effroyable porte du néant. Si toutes les civilisations entretiennent un rapport particulier avec elle, la relation d’une culture à la mort est peut-être une des clefs de lecture les importantes pour comprendre un monde, une époque, une Histoire. Pour l’Egypte, la mort n’existe pour ainsi dire pas. C’est une simple autre manière d’exister. Les grecs redoutaient cette vie d’ombre au shéol. Le Moyen-Age chrétien avait appris à vivre avec la mort, avec les morts que l’on veillait et accompagnait longuement. Aujourd’hui, on tend à cacher un cadavre, comme impudique, comme s’il avait retrouvé l’impureté qu’on lui prêtait dans l’antique Grèce ou qui marquait les livres de l’Ancien Testament. La mort semble souiller la vie. On voudrait l’ignorer. A son approche on la fuit au point de l’éradiquer au plus vite en euthanasiant les anciens après les avoirs relégués dans des mouroirs, entre eux.
Finalement, parce que redoutée, peu nombreux sont ceux qui se préparent à affronter la sinistre faucheuse. La mort des autres devient l’oppressante moralisatrice qui nous rappelle notre inévitable destinée. La mort est une violence pour celui qui vit. En lui rappelant sa propre finitude elle lui impose l’inévitable gouffre du néant de chaque être humain. La question de l’après est repoussée avec terreur. La peur du néant est d’autant plus surprenante que le néant signifie « plus d’être », donc plus de sensation du néant. Ainsi la mort vue comme fin ne devrait inquiéter aucun matérialiste convaincu de la finitude de chaque chose.
La réalité est que la mort, même pour celui qui sincèrement ne croit pas en un quelconque au-delà, ouvre un tout autre gouffre : la fin des jouissances de ce monde. Ce dont ont peur la plupart de nos contemporains est que ces plaisirs, qu’ils soient bons ou mauvais (la n’est pas la question), cessent. C’est une peur existentielle du vide pour une vie creusée dans l’avoir qui passe au lieu d’avoir été enracinée dans l’être qui demeure. Repousser la mort derrière des murailles de parfums pour en dissiper l’odeur ressentie comme agressive empêche de se confronter à ce dualisme qui déchire l’Homme entre être et avoir, demeurer ou passer. La mort nous place devant la réalité de notre vie. Celui qui est ne meurt pas, tandis que celui qui n’est qu’avoir disparait avec lui.
Or le vide existentiel de l’homme aujourd’hui le conduit à oublier d’être pour se sécuriser dans l’avoir. Fuir l’image de la mort, de nos morts, c’est d’une certaine façon refuser qu’être n’est pas une accumulation, mais une plénitude. Or, par sa passion et sa mort, le Christ nous apprend que cette plénitude est un don de soi qui ouvre à la vie. Telle est le fondement et le chemin de l’espérance du chrétien face à la mort. Il ne s’agit pas d’emporter dans l’au-delà, mais d’entrer de tout notre être dans la vie. C’est, d’une certaine façon, ce que voudrait nous rappeler ce 2 novembre. Nous nous souvenons et nous visitons nos défunts, non comme une commémoration au monument aux morts, mais comme une présence vivante, témoin de la victoire de la vie sur la mort, c’est-à-dire de l’être sur le néant, par le don qui réalise notre être dans et par le don suprême de la vie de Celui qui « est » la vie.
Cyril Brun
Rédacteur en chef