(Notre lettre du 23 février n’étant pas partie, nous redonnons notre édito de ce jour)
Chaque pape donne à son pontificat un ton qui lui est propre. Entre contingences du temps et préoccupations personnelles, les souverains pontifes ont tracé les grands axes de leur règne, donnant parfois l’impression que l’Eglise pouvait « évoluer ». En réalité, l’Eglise a toujours monnayé le contenu de la Révélation dans un contexte précis qui amenait à mettre plus en avant tel aspect et sembler délaisser tel autre. Mais, comme une mère s’occupe moins d’un enfant en bonne santé et consacre plus de temps à celui qui est malade, l’Eglise ne perd jamais de vue l’ensemble de ses enfants et des données de la Révélation dont elle est le gardien. Si tel n’était plus le cas, les pasteurs manqueraient tout autant à la charité qu’à la vérité. Le pape François se trouve donc, comme tout pontife, à la croisée des exigences du temps et de ses préoccupations personnelles. Les deux chemins sont ils compatibles, les priorités ne sont-elles pas inversées ? Evidemment, il faut avoir une vision relativement large et complète de la situation pour trancher cette question qui perturbe le monde catholique.
Quels sont donc les grands thèmes du pontificat franciscain ? Parmi un certain nombre plus secondaire, neuf ressortent de manière saillante. Sur ces neuf, huit proviennent d’impératifs du moment qui rejoignent les préoccupations du pape. Sont-ce réellement les plus importants ? Le pape les traite-t-il comme il faut ? Ce sont d’autres questions qui précisément font débat. La première, dont assurément tout pape se serait bien passé, est la réforme de la Curie. Le pape François ne pouvait y échapper puisque c’est une des raisons de la renonciation de son prédécesseur, trouver un successeur capable de prendre en main ce sac de nœud. Il semble ici que le pape s’y soit mal pris, se coupant de l’organe qui par nature doit l’aider à gouverner. Il semble par ailleurs que la réforme avorte en silence. Une autre préoccupation dont le pape se serait bien passé est la pédophilie. Lui-même inquiété pour sa gestion de la question en Argentine, on le sent mal à l’aise avec le problème comme l’a révélé son voyage au Chili.
Les sujets qui lui sont chers entre tous tiennent à la fragilité humaine : la pauvreté, les migrants, la traite humaine et la paix. Là encore sa manière de gérer des questions humainement dramatiques crée des tensions politiques à l’intérieur de l’Eglise au point que les déclarations du souverain pontife en viennent à se contredire. On sent néanmoins que ce sont des questions qui le touchent au cœur très profondément. L’écologie dont il a fait le thème d’une encyclique, elle aussi controversée, est finalement une trame de fond dans ses préoccupations quoique seconde par rapport à la série précédente. Il s’exprime du reste beaucoup moins sur ce sujet désormais. Tous ces thèmes sont très politiques, ce qui agace nombre de catholiques, à commencer par les Italiens, vent debout contre ses déclarations sur l’immigration.
Deux autres thèmes préoccupent le Saint-Père. La vie dont il est un ardent défenseur et la miséricorde qui est la clef de lecture de son pontificat. Il semble que, malgré son tempérament dur et autoritaire, il ait une très grande sensibilité à la souffrance humaine et voudrait soulager tout ce qui pèse de trop sur les épaules des hommes et des femmes. Ce désir d’éradiquer la souffrance se traduit pour lui par une conception de la miséricorde dont beaucoup craignent un relativisme oublieux de la vérité. Or il n’y a pas de miséricorde sans vérité. D’où des crispations grandissantes à la Curie et dans l’ensemble du monde catholique.
Telle nous semble être la clef de lecture (qui n’est de notre part ni un blanc-seing ni une condamnation, mais un constat) des grands thèmes du pontificat du pape François. Cette clef de lecteur explique, du reste également, les choix de ces grands thèmes très humanitaires et peu théologiques. De là découlent de nombreuses autres questions sur la pertinence de ces choix, le modus operandi du pape, la hiérarchie des priorités et même le rôle du pape sur la scène internationale, entre politique et pastorale.
Cyril Brun, rédacteur en chef