Jamais notre bonheur n’a été autant menacé que depuis ces deux derniers siècles. La quête existentielle par excellence de l’Homme n’est autre, nous le savons bien, que le bonheur. Il y a en l’Homme un vide existentiel qui est constitutif de lui. C’est ce vide profond, cette béance native de son être qui le fait sortir de lui-même pour aller chercher ailleurs ce qui lui manque pour être heureux, pour vivre en paix avec lui-même et avec les autres. Si nous avions en nous-mêmes de quoi combler ce vide, ce dernier n’existerait pas ou la quête de notre vie serait une introspection visant à recomposer un puzzle dont nous posséderions toutes les pièces. Cette autosuffisance ferait de l’homme un être tourné vers lui-même, n’ayant ni besoin ni désir des autres.
Il est étrange que des partis politiques ne voient pas comment et combien leur idéologie, sous couvert de progrès et de libération de l’Homme, hypothèque son bonheur. Car défigurer le visage de l’Homme, c’est le condamner à ne plus se reconnaître lui-même et donc à ne plus se connaître. Or Socrate ne pose-t-il pas comme préalable à toute quête humaine, le “Connais-toi toi-même” ?
Ce vide existentiel est constitutif de l’être humain. C’est même une composante essentielle qui fait de lui une personne (c’est-à-dire un être de relation) et non un individu (un être isolé, entité détachable des autres). Cette béance native de l’Homme est le fondement même de toute relation sociale. Cependant, l’Homme n’a pas toujours conscience que ce manque intime est naturel. Ce n’est pas une maladie psychologique, c’est au contraire, une incroyable force. Ne pas prendre ce vide pour ce qu’il est, c’est-à-dire, une force, c’est courir le risque d’en avoir peur, de le cacher comme une plaie honteuse.
Mais cacher cette béance n’est pas lui rendre service, ce n’est pas la nourrir de ce dont elle a besoin. C’est au contraire, l’enfouir (pour la protéger parfois) ou tenter de s’auto satisfaire, de trouver à l’intérieur de soi de quoi combler ce vide. A ce moment-là, ce vide peut devenir maladif et destructeur, parce qu’il cherche en lui ce qui ne s’y trouve pas. C’est alors que la souffrance d’un tel manque devient insupportable et exige mille compensations qui ne seront pourtant jamais que des pansements sur une jambe de bois.
Besoins compensatoires
Pour être heureux, l’Homme a besoin de reconnaître qu’il doit recevoir des autres ce qui lui manque. Cette étape dans la construction de soi et dans la quête du bonheur est un prérequis incontournable. Sans lui la quête est impossible à mener, elle devient errance et faux-fuyants. Mais, à celui qui reconnait le bien fondé de cette béance, à celui qui comprend que là est le dynamisme qui met sa vie en mouvement, il faut encore identifier l’objet de sa quête. Qu’est-ce qui fera effectivement son bonheur ? Se tromper sur la quête, sur l’objet de sa quête, c’est courir le risque de passer à côté du bonheur et donc de devoir, à terme, chercher des compensations.
Le désarroi de notre société actuelle, la perte d’identification de ce qui fait le bonheur de l’Homme, démultiplient les besoins compensatoires et l’on cherche toujours plus à combler un vide existentiel, par une accumulation d’avoir. Cette destructuration intérieure de l’Homme est un formidable dopant pour la croissance de la consommation. C’est même le moteur de notre société de consommation.
Il est étrange que des partis ou mouvements politiques qui cherchent à défendre les plus faibles ne voient pas comment et combien leur idéologie, sous couvert de progrès et de libération de l’Homme, hypothèque gravement son bonheur. Car défigurer le visage de l’Homme, c’est le condamner à ne plus se reconnaître lui-même et donc à ne plus se connaître. Or Socrate ne pose-t-il pas comme préalable à toute quête humaine, le “Connais-toi toi-même” ? Comment l’Homme d’aujourd’hui peut-il se reconnaître dans l’être lacéré de toutes parts qu’on lui présente comme étant lui.
Dénaturer l’Homme dans sa sexualité, dans sa filiation, dans sa paternité, dans son altérité, dans son origine, c’est le condamner à l’exil. L’Homme d’aujourd’hui est un exilé dans son propre être, un étranger dans sa propre chair. Toutes les mesures que souhaite prendre le gouvernement hypothèquent gravement ce bonheur. De la conception à la mort, en passant par l’intimité de la vie quotidienne ou la construction de son identité, il n’est pas un moment de la vie, pas un instant du développement de l’être humain qui ne soit compromis sérieusement.
Relativisme de confort
Concrètement, la loi sur l’embryon et le projet de loi sur l’euthanasie compromettent la dignité la plus fondamentale de l’Homme, car l’être humain court le risque de ne plus être ce sanctuaire inviolable. Or cette inviolabilité est un gage de stabilité et de paix. Combien sont désormais affolés par leur fin de vie, ont peur d’aller à l’hôpital car ils sentent désormais une angoissante épée de Damoclès sur leur propre survie ?
Quant au mariage, à l’identité sexuelle ou à l’éducation des enfants, ce sont autant de “réformes” qui destructurent l’équilibre et donc la construction même de la personne. C’est là plus que nulle-part ailleurs, dans ce sillon que se creuse la quête existentielle du bonheur. Tromper l’Homme sur la réalité profonde de son être, par un relativisme de confort, c’est lui interdire toute possibilité d’entreprendre, en vérité et en liberté, cette quête du bonheur. C’est l’orienter vers la recherche vaine d’un faux-semblant qui ne débouchera que sur cette course effrénée aux plaisirs compensatoires.
Les différents projets de lois sont donc une véritable menace, une hypothèque lourde, véritable épée de Damoclès dont l’un des effets, non négligeable, sera de plonger notre pays dans une véritable dépression morale et au-delà économique, l’un n’allant pas sans l’autre.