Le pape François se rendra le 1er octobre à Mtzkheta, l’ancienne capitale de l’Ibérie, actuelle Géorgie. Il vénèrera sainte Nino, l’évangélisatrice des Ibères, dans la cathédrale Svéti Tskhovéli : « Colonne vivante ». Pourquoi ce nom ? Françoise Thelamon qui a consacré une partie de sa thèse sur le sujet répond pour Cyrano.net
La source écrite la plus ancienne de la conversion des Ibères est le récit rédigé en latin, en 402, par Rufin d’Aquilée (Histoire ecclésiastique, I, 10) qui tient l’information du prince ibère chrétien Bacurius, général dans l’armée romaine. Rufin l’a connu à Jérusalem.
Les récits grecs et arménien des Ve–VIes. reprennent Rufin. Les sources écrites géorgiennes sont toutes postérieures. Elles dépendent de la tradition orale qu’on ne saurait sous-estimée et peut-être d’une source écrite perdue du VIIe s. Toutes ces sources sont concordantes sur les points fondamentaux. Les traditions géorgiennes les étoffent.
– Un cas unique d’évangélisation par une femme
Rufin raconte qu’une femme « captive », anonyme, étonnait les Ibères par son mode de vie : ermite, ascète, elle priait jour et nuit, confessant qu’elle rendait ainsi un culte au Christ-Dieu. Il faut voir en elle non une prisonnière de guerre mais une « captive » de son dieu. Dans les structures sociales, religieuses et mentales des Ibères, seule une femme pouvait introduire un dieu nouveau : une femme kadag, une chamane, captive (daçerili) de son dieu ; elle s’efface quand le culte est organisé et desservi par des prêtres.
On amène à la « captive » un enfant malade ; elle affirme qu’elle n’a aucun pouvoir, mais que son dieu, le Christ, peut, lui, donner le salut. L’enfant est guéri. La reine malade se fait porter à la cabane de la captive ; elle est guérie. Alors la captive lui « enseigne que le Christ qui l’a sauvée est Dieu, fils du Dieu Très-Haut, et la presse d’honorer celui qu’elle sait être l’auteur de son salut et de sa vie ». Quand le roi, réticent, fait appel au « dieu de la captive » lors d’une dangereuse chasse en forêt, il est sauvé des ténèbres tant matérielles que spirituelles qui l’environnaient et trouve son chemin, un chemin de conversion. Plein de zèle, il devient « apôtre de son peuple » et ainsi « les hommes croient par le roi, les femmes par la reine ».
– Le miracle de la « colonne vivante »
La captive « révèle alors les rites de la prière […] recommande de construire une église ». Les murs mis en place, deux colonnes sont érigées, mais la troisième demeure à l’oblique. C’est le découragement ; la captive passe seule la nuit en prière dans le sanctuaire. Au matin le roi et les siens découvrent la colonne dressée à la verticale, suspendue au-dessus de sa base ; sous leurs yeux elle descend d’elle-même et s’y fixe en parfait équilibre. La construction se poursuit sans difficulté. Tous adhèrent à la religion de la captive. Sur ses avis, une ambassade va demander à l’empereur Constantin d’envoyer des prêtres ; ce qui fut fait. Le miracle de la colonne correspond aux modalités de prise de possession d’un sanctuaire dans la culture ibère. La conversion officielle des Ibères peut être datée de 330-337.
– Captiua Christi, sainte Nino, sainte Chrétienne
Dans le récit de Rufin tous les personnages : la captiua, le roi, la reine, sont anonymes, à l’exception de Bacurius pour garantir la fiabilité du témoignage, mais le nom Christ apparaît sept fois : il est le personnage central. Les noms des protagonistes humains apparaissent dans la tradition géorgienne postérieure : sainte Nino, le roi Mirian et la reine Nana. Mais Nino est aussi vénérée en Occident sous le nom de Sainte Chrétienne : ce nom « la chrétienne » définit parfaitement la captiua, c’est son identité véritable. En 1807, l’évêque de Metz, la donne comme patronne à la Congrégation de l’Enfance de Jésus et de Marie récemment fondée. Les Sœurs de Sainte Chrétienne, présentes en de nombreux endroits du monde, ont fondé il y a peu une petite communauté en Géorgie, à Akhaltsikhe.
Par Françoise Thelamon pour Cyrano.net