Le témoignage de Mgr Viganò a provoqué de nombreuses réactions dans la presse et dans l’Église, tant hostiles qu’amicales. Cependant, plus qu’une «attaque» contre le pape François, l’ancien nonce apostolique des États-Unis n’apporte-t-il pas un message important pour l’Église universelle sur les risques d’une infiltration homosexuelle dans son enseignement et sa discipline ?
Une tempête peut en cacher une autre… Nous sommes à peine sortis du scandale des prêtres présumés pédophiles de Pennsylvanie que nous entrons dans l’affaire Viganò, affaire que cette fois, on ne nomme pas un «scandale» ! Évidemment, puisque Viganò ne situe son propos que sur le comportement «présumé» homosexuel de l’ex-cardinal Theodore McCarrick. On connaît les faits : Monseigneur l’archevêque Carlo Maria Viganò, nonce apostolique à Washington du 19 octobre 2011 au 19 avril 2016 – poste dont il est démissionnaire pour limite d’âge – livre à la presse (au National Catholic Register du 27 août) un «témoignage» dans lequel il révèle trois choses.
LES FAITS
- Les deux nonces qui l’ont précédé, Mgr Gabriel Montalvo et Mgr Pietro Sambi – prématurément décédés – ont informé le Saint-Siège des comportements gravement immoraux de l’archevêque de Washington, Theodore McCarrick, envers des séminaristes et des prêtres. À la demande du nonce Montalvo, le Père Boniface Ramsey, o. p., professeur au séminaire diocésain de Newwark, a écrit une lettre datée du 22 novembre 2000 affirmant que des rumeurs couraient dans le séminaire, rumeurs selon lesquelles l’archevêque, qui est alors Theodore McCarrick, «partage son lit avec des séminaristes» et en invite quelques-uns à passer des week-ends dans sa maison de vacances à la mer. Des séminaristes qu’il connaît personnellement, maintenant ordonnés prêtres, ont été invités dans cette maison et ont partagé le lit de l’hôte.
Ces informations ont été transmises au Saint-Siège alors que le cardinal Angelo Sodano était secrétaire d’État. Mais aucune sanction n’a été prise contre Theodore McCarrick. Les mêmes informations ont été transmises au secrétaire d’État Tarcisio Bertone par le prêtre Gregory Littleton, réduit à l’état laïque pour agressions sur mineurs. Dans un document, il raconte sa tragique histoire personnelle d’agression sexuelle de la part de l’archevêque de Newark, Theodore McCarrick. Lorsque Mgr Viganò prit un premier poste à Washington comme Deleguate for Pontifical Representations, il transmit un mémo1, le 6 décembre 2006, au cardinal Bertone par le substitut Mgr Leonandro Sambi. Il signala alors la gravité du cas de Littleton. Évoquant le canon 1405 § 1, n°2, il suggéra que traiter de ce cas relevait directement du Pontife romain, qui est le seul juge compétent pour juger «les Pères cardinaux» – Theodore McCarrick ayant été créé cardinal en 2001 par Jean-Paul II.
En 2008, Richard Sipe2 envoie au Vatican un Statement for Benedict XVI about the pattern of sexual abuse crisis in the United States. Le cardinal Levada, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le fait connaître au secrétaire d’État Bertone, qui l’envoie à la nonciature de Washington. Cela donne à Carlo Maria Viganò l’occasion d’écrire un second mémo au substitut Fernando Filoni, mémo qu’il conclut par la pétition de Richard Spite : «J’approche Votre Sainteté avec révérence, mais avec la même intensité qui motiva Pierre Damien3 à exposer à votre prédécesseur, le pape Léon IX, une description du clergé de son temps. Les problèmes dont il vous a entretenus, qui étaient ceux de Rome, sont aussi grands et aussi graves que ceux des États-Unis maintenant. Si votre Sainteté le demande, je pourrai vous envoyer une documentation de ce dont je vous parle.» Il n’y eut pas de réponse du Saint-Siège à ce mémo.
Carlo Maria Viganò quitta son poste à Washington en 2009 et reçut la charge de gouverneur de l’État du Vatican, poste qu’il garda jusqu’en 2011. C’est donc alors qu’il est en poste à Rome qu’il apprend par le cardinal Giovanni Batista Re, préfet de la Congrégation des évêques, que Benoît XVI a imposé à Theodore McCarrick les sanctions qui sont celles que le pape François vient de lui imposer le 27 juillet 2018. Les sanctions de Benoît XVI lui furent communiquées par le nonce apostolique Pietro Sambi. Monseigneur Jean-François Lantheaume, premier conseiller de la nonciature de Washington et chargé d’affaires après la mort soudaine du nonce Sambi, peut en témoigner. C’est ce qu’il a fait voilà quelques jours en affirmant : «Carlo Maria Viganò dit la vérité4». Le 19 octobre 2011, Carlo Maria Viganò est nommé nonce à Washington. Avant de partir, il a un entretien avec le nouveau préfet de la Congrégation des évêques, le cardinal Marc Ouellet, qui lui confirme les dispositions prises par Benoît XVI. Voilà des faits qui sont vérifiables ; les pièces justificatrices existent dans les dossiers des deux secrétariats, celui de la secrétairerie d’État, celui de la nonciature apostolique de Washington. Pour les contester, il faudrait les vérifier à leur source. - La deuxième chose sur laquelle Carlo Maria Viganò s’interroge et nous interroge est la suivante : comment des dispositions aussi claires et obligatoires n’ont-elles pas été suivies d’actes ? Monseigneur Viganò prend son poste de nonce le 19 octobre 2011 et, lors du premier entretien qu’il a avec le cardinal Theodore McCarrick, il lui répète les dispositions auxquelles Benoît XVI lui aurait demandé d’obéir. Le cardinal s’en étonne, admet qu’il a peut-être dormi dans le même lit de quelques séminaristes et que, de toute façon, cela n’a aucune importance. Ce qui signifie en clair : pourquoi et comment a-t-il pu passer outre aux demandes de Benoît XVI ? C’est la deuxième révélation du témoignage de Carlo Maria Viganò, et elle porte sur un certain fonctionnement de la Curie.
En 2000, le nonce Montarlo envoie un rapport au secrétaire d’État, qui est alors Angelo Sodano, et qui le sera jusqu’en 2006. Ce rapport est appuyé, comme on l’a vu, par le Père Ramsey. Or rien ne bouge, et ce qui fait bouger Benoît XVI, c’est la supplique de Richard Sipe. Ce qui signifie que, probablement, la secrétairerie d’État n’a rien transmis au pape. On sait plus ou moins clairement aujourd’hui que Sodano aurait essayé de protéger Maciel, lequel – comme que le révéla à l’époque le National Catholic Reporter – l’aurait pourvu d’aide financière… Pourquoi n’en aurait-il pas fait autant pour Theodore McCarrick et pour la même raison ? Il suffit qu’un maillon soit inopérant pour que toute la chaîne se brouille. Il est toujours possible de dire que l’on ne sait pas, que l’on n’a jamais su, que l’on ne voit pas, quand aucune information n’est formellement transmise. C’est plausible, mais impossible à prouver.
C’est là où les arguments de Carlo Maria Viganò faiblissent, non parce qu’ils sont faux, mais parce qu’ils ne sont que vraisemblables et que, comme tels, ils ne sont que des présomptions. Il faudrait un véritable procès que l’on sait si bien faire dans le civil, mais qu’il est impossible de réaliser dans l’Église sans l’accord explicite du pape, qui est l’unique sujet absolu et suprême des trois pouvoirs de gouvernement : le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Encore faut-il que le pape soit informé et que, même informé, on lui obéisse !
- La troisième chose dont Carlo Maria Viganò veut nous faire prendre conscience concerne l’attitude du pape lui-même. Il y a traditionnellement à Rome une réunion des nonces. Le 21 juin 2013, le pape François reçoit tous les nonces, en la première année de son pontificat. Le nonce de Washington s’y rend, comme il convient, et découvre une longue amitié de Theodore McCarrick avec Jorge Bergoglio. Au début de la rencontre, l’archevêque de Washington rencontre, au tournant d’un couloir, Theodore McCarrick, qui lui annonce fièrement qu’il est envoyé par le pape en Chine. La phrase est provocante ; elle signifie que François ne tient aucun compte des dispositions de Benoît XVI le concernant. Il a la confiance du pape ; la preuve, il l’envoie en Chine ! Or Theodore McCarrick ne devrait pas voyager ! Après l’entretien officiel, chaque nonce se présente au pape. Carlo Maria Viganò est le dernier et se présente comme nonce à Washington. Il s’entend dire par François : «Les évêques des États-Unis doivent être des pasteurs et non des idéologues.» Phrase surprenante, pour laquelle le nonce demandera des explications au pape dans un entretien personnel accordé plus tard.
Le pape reprend : «Oui, les évêques aux États-Unis ne doivent pas être des idéologues, il ne doivent pas être de “droite” comme l’est l’évêque de Philadelphie ; ni de gauche, et quand je dis de “gauche”, je veux dire homosexuels.» Devant cette phrase sibylline, le nonce se tait, mais en profite pour dire qu’il ne savait pas quelle était l’amitié qui unissait Bergolio et McCarrick , mais qu’il y avait un dossier lourd décrivant son activité de corruption de la jeunesse. François ne bouge pas et ne fait aucun commentaire et n’interroge pas sur le contenu du dossier. Pour lui, était-ce une révélation ou connaissait-il bien la situation ? Nul ne le sait et nul ne peut le dire. Mais ce que comprendra plus tard le nonce apostolique, c’est que les mots qu’il s’était entendu dire sur les évêques américains «qui doivent être des pasteurs et non des idéologues» venaient en fait de Theodore McCarrick et manifestaient son opposition aux nominations par Benoît XVI de certain sièges épiscopaux tels que Philadelphie, Baltimore, Denver et San Francisco. Si l’on est attentif aux faits, on peut voir aujourd’hui d’où viennent les soutiens et les critiques qui émergent comme une marée contre Viganò et ses révélations.
Les révélations de Carlo Maria Viganò
Que valent donc les révélations de Carlo Maria Viganò ? Les premières sont des faits incontestables : Benoît XVI a fini par apprendre la nature des actes de Theodore McCarrick et, sans tergiverser, il a fait ce qu’il fallait faire : lui ordonner de quitter toute tâche apostolique et de se retirer dans un monastère pour prier et faire pénitence. C’est aujourd’hui ce que l’on impose à tout jeune prêtre pour lequel il n’y a qu’un soupçon vraisemblable d’actes inappropriés. Or pour l’ex-cardinal Theodore McCarrick, il y avait plus que des soupçons d’actes inappropriés, il y avait de véritables accusations, plusieurs, et de plusieurs sources. Cependant, Theodore McCarrick n’est pas le petit prêtre d’un village obscur qui n’a pour se défendre que sa bonne foi. Il est un homme riche et très influent, et son influence, il l’a longuement cultivée. Comment a-t-il pu soumettre tant de personnes à son jeu ? Et quels ont été les motifs pour lesquels ces personnes ont accepté de couvrir ses actes ? Nous ne le saurons sans doute jamais, car pour le savoir, il faudrait un vrai procès canonique, lequel n’aura sans doute jamais lieu étant donné l’âge du suspect. De plus, s’il avait lieu, ces procès sont secrets. Mais avons-nous besoin de le savoir ?
Les violentes attaques subies par Viganò dans la Presse sont peut-être une preuve que ce qu’il dit pourrait être vrai et que cela fait mal
Pour le moment nous pouvons accepter de penser que Carlo Maria Viganò est un homme intègre, loyal, courageux et compétent. Telle est l’opinion que ceux qui le connaissent bien ont de lui. Nous pensons que ce qu’il dit est vrai. Et nous le pensons en raison de son intégrité. C’est cette intégrité que l’on attaque actuellement, et on l’attaque à coup de boutoir de haine et de violence. Il est devenu dans la Presse (voir notre Revue de presse) le «salaud» qu’il faut descendre à tout prix. Il faut le discréditer radicalement, qu’il ne puisse plus dire un mot, qu’il soit interdit de parole à tout jamais. C’est peut-être une preuve que ce qu’il dit pourrait être vrai et que cela fait mal.
LE MESSAGE
Pourquoi Carlo Maria Viganò a-t-il écrit ce qu’il a écrit ? Après tout, homme cultivé, ayant terminé sa carrière, à l’aise matériellement, il pourrait bien se retirer quelque part en Italie, où il fait si bon vivre. Mais Viganò ne pense pas comme cela. Il veut nous faire entendre un message et un message urgent : l’Église catholique est menacée par le mouvement homosexuel et non par la pédophilie. Car, contrairement à ce que l’on répand, Carlo Maria Viganò ne confond pas pédophilie et homosexualité, loin de là. Les agressions sexuelles dont il parle et qu’il reproche à Theodore McCarrick de les avoir commises sont des actes homosexuels – à notre connaissance les séminaristes ne sont pas des enfants dépourvus des signes de la puberté –, des actes qui, pour lui, n’ont pas d’importance ! À l’heure actuelle, dans l’Église, ne cherche-t-on pas a faire admettre l’opinion que l’homosexualité est de même nature que l’hétérosexualité, car ces tendances auraient les mêmes sources : la recherche de la tendresse et une satisfaction modérée de la sensualité. Alors que la pédophilie se rapprocherait de l’abus d’autorité !
Le cardinal Cupich se bat pour dire que le vrai problème, c’est le cléricalisme défini comme un abus d’autorité et portant en lui-même la tendance pédophilienne. Car, pour lui, ce qui définit le pédophile, c’est le besoin de dominer, c’est le fort contre le faible ! Au contraire, ce qui définit l’homosexualité, c’est la recherche naturelle égale et non dominatrice de la la tendresse, et le réconfort d’une amitié avec son semblable (same sex). Il faudrait réhabiliter l’homosexualité ! Rien que cela ! Sous l’influence du Père James Martin, s. j., qui vient d’être nommé consultant au Service de la Communication, faudra-t-il changer le texte du Catéchisme et, au lieu d’appeler l’acte homosexuel un «grave désordre», l’appeler maintenant, un «ordre différent» ?
Si personne ne fait attention à l’alerte que donne Viganò, où irons-nous ?
Certes, Carlo Maria Viganò a renoncé à tout retranchement en désignant trop de personnes connues à la Curie et dans l’entourage du pape, comme emprisonnées sous l’influence des réseaux homosexuels. Parle-t-il dans le vent, sans connaissance de cause ? Il ne faut pas oublier qu’il a été gouverneur de la Cité du Vatican et qu’il connaît plus de personnes que nous ne pouvons le penser et vu plus de situations délictueuses que nous ne pouvons l’imaginer. Seulement, comme il n’apporte pas de «preuves» – et, pour qu’il y en ait, il faudrait une enquête ou des enquêtes canoniques serrées et un vrai procès ecclésiastique –, il prête le flanc à la démolition haineuse et violente. Mais si personne ne fait attention à l’alerte qu’il donne, où irons-nous ? Jusqu’à hisser un jour le drapeau du LGBT aux mâts du Vatican ?
Prendre connaissance de ces nouveaux faits, ce n’est pas percevoir un nouvelle réalité, un nouveau problème. Il y a, surtout dans la littérature américaine catholique, de nombreux auteurs qui multiplient les mises en garde contre l’infiltration de l’homosexualité dans l’Église et ailleurs, que l’on pense à Janet Smith, à Judith Reisman, à Richard Spite, au Père Enrique T. Rueda (The Homosexual Network, The devin Adair Compagny, Connecticut, 1982). Chacun de ces auteurs cités s’exprime dans les limites de ses connaissances et de son charisme, et souvent tout n’est pas parfait dans ce qu’ils disent. Mais, au moins, ils le disent. Quand on parle d’infiltration homosexuelle, on ne signifie pas une attitude qui voudrait revenir au mépris, à la discrimination, à l’ironie cruelle, et qu’il faudrait remplacer par la compassion et la compréhension. On parle d’un lobby ou de plusieurs, qui cherchent à influencer des législations, des enseignements, voire la théologie morale fondamentale, des décisions exécutives de haut niveau, pour faire cesser de considérer cette tendance comme un «désordre», et l’introduire comme une possibilité de choix dans la sexualité humaine au détriment de l’hétérosexualité.
En ce qui concerne les personnes consacrées, prêtres ou religieux, les actes homosexuels représenteraient un supplément acceptable aux manques de tendresse et de gratification affective auxquels conduirait le vœu ou la promesse de chasteté parfaite, c’est-à-dire absolue ! Cela remplacerait un clergé marié ! L’Église catholique pourrait-elle accepter cela sans renoncer à sa grande spiritualité des conseils évangéliques qui a porté tellement de fruits ? La chasteté aura-t-elle encore un avenir dans l’Église ?
Aline Lizotte
Photo : Patrick Semansky / AP / SIPA
1 – Tous les mémos ou notes de service peuvent être consultés au Secrétariat d’État du Siège Apostolique ou à la nonciature à Washington.
2 – Richard Sipe, qui vient de mourir, a été prêtre pendant 18 ans. Il s’est spécialisé dans la dénonciation des agressions sexuelles dans l’Église. Il a écrit six livres.
3 – Saint Pierre Damien, né v. 1007 à Ravenne (Italie) et décédé le 23 février 1072 à Faenza (Italie), fut un moine-ermite camaldule du XIe siècle, qui devint évêque, puis cardinal et fut déclaré docteur de l’Église par le pape Léon XII, en 1828. Pierre Damien vit à cette époque de la fin du Xe siècle qui, avec le siècle précédent, est l’un des pire dans l’Église pour la décrépitude des mœurs du clergé, prêtres, évêques et même papes. Il prône la vie monastique comme remède à ces mœurs, et même la vie érémitique. Il meurt peu avant l’accession à la papauté de Grégoire VII (1073-1085), dont la réforme dite «réforme grégorienne» amena un changement radical des mœurs dans l’Église. Elle avait été préparée la réforme de la vie monastique inaugurée par Cluny et Cîteaux.