Recep Tayyip Erdogan est en passe de réussir son pari: après bientôt 15 ans à la tête de la Turquie, il met la dernière main à une sorte de restauration du califat qui ne dit pas son nom. On sait que l’homme, chef du Parti de la justice et du développement (AKP), a lutté pendant toute sa vie politique contre les réformes « laïques » de Mustafa Kémal et fortement contribué à la réislamisation de la Turquie.
Tout a servi cet objectif ultime: des résultats électoraux au coup d’État suspect de cet été qui entraîna une répression massive (et manifestement préparée d’avance). Il travaille actuellement à une réforme constitutionnelle de grande ampleur, visant à doter le président de davantage de pouvoirs.
Un chef d’État doté de la plupart des pouvoirs et une Turquie islamisée, voilà bien une restauration clandestine du califat. En réalité, la Turquie kémaliste n’était pas le havre de paix et de modernité qui fut si souvent chanté par les Occidentaux. D’abord, je n’oublie pas que les futurs cadres du kémalisme, à commencer par Atatürk luimême, furent longtemps très proches des Jeunes-Turcs, ces fanatiques qui organisèrent le génocide des Arméniens et de bien d’autres chrétiens de l’empire ottoman. Il est vrai que leur commune adulation pour l’idéologie ma- çonnique fit protéger longtemps les Jeunes-Turcs par les radicaux-socialistes français. Qu’importent les massacres pourvu qu’on ait la « modernité », n’est-ce pas ?
Par ailleurs, la laïcité turque, si souvent chantée, là aussi, par les dirigeants occidentaux, n’avait pas grand-chose de commun avec la nôtre, pour la simple et bonne raison que la laïcité, c’est-à-dire la distinction entre les pouvoirs spirituel et temporel, n’a de sens que dans le cadre du christianisme. Mais nos dirigeants se gargarisent si facilement de mots que l’on put entendre, encore récemment, comparer l’AKP à la démocratie chrétienne! Alors que, même dans la Turquie kémaliste, les imams étaient recrutés par l’État, et que l’AKP continue à chanter: « Les mosquées sont nos casernes, les citoyens nos soldats, les coupoles nos casques, les minarets nos baïonnettes »…
Depuis quelques semaines, le torchon brûle entre la Turquie et plusieurs pays d’Europe à propos de la réforme constitutionnelle dont je parlais plus haut. Comme le référendum sur cette réforme s’annonce serré, les ministres d’Erdogan font campagne dans les diverses diasporas turques en Europe. Plusieurs pays, notamment l’Allemagne et les Pays-Bas, ont refusé de tels meetings politiques et une telle propagande islamiste sur leur territoire. À chaque fois, Ankara hurla au nazisme. Pourtant, ces gouvernements ont parfaitement le droit de refuser de se laisser insulter sur leur propre sol par des ministres étrangers, encouragés par des citoyens turcs qui profitent largement de l’économie et de la prospérité européennes. Comme par hasard, le gouvernement Hollande, lui, ne vit aucun inconvénient à de telles manifestations. Benoît Hamon a même pu se ré- clamer des Lumières (mais oui!) pour revendiquer une sorte de droit inaliénable à promouvoir une idéologie particulièrement obscurantiste. Peut-on raisonnablement espérer que cette évolution de la Turquie vers un retour au califat réveille enfin les Européens et pousse à la rupture des négociations d’adhésion à l’Union européenne? Rien n’est moins sûr. Nos dirigeants sont si ignorants en matière d’histoire, de religion et de civilisation, qu’ils ne voient toujours pas de différences entre la Turquie et nous.
Guillaume de Thieulloy
Source les 4 Vérités hebdo
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