Alors que le Pape et le Patriarche Bartholomée s’apprêtent à publier une déclaration commune pour la journée mondiale de prière pour la Création (1er septembre) nous republions cette tribune du 6 juin 2017
La théologie de la création serait-elle le nom chrétien de l’écologie ?
Fait-on plus appropriée comme perspective introductive pour qui cherche à se situer entre ciel et terre ? Mais, la question mérite-t-elle d’être posée ou est-elle simplement saugrenue, voire provocatrice ? C’est en tout cas celle que je me suis posée en premier lieu pour savoir si les chrétiens avait quelque chose de spécifique à dire, donc aussi à connaître et à vivre, ou bien si les chrétiens pouvaient se contenter de la pensée courante sur la question.
Les discours anciens ne font pas état d’écologie (ni du terme, ni de la notion qu’elle pourrait recouvrir) : la création est alliée, hostile, bonne, instrument divin, faite pour l’homme, terrifiante, apaisante… Elle est un quotidien, un partenaire avec lequel la relation prend les mêmes aspects que pour n’importe quelle relation humaine. Il faut faire avec elle. Le rapport est essentiellement spirituel ou pragmatique. C’est une formidable ressource de paraboles et un champ sémantique pour les homélies. Et, pourrions-nous dire, les choses en restent là. Mais en restant là, peut-être disent elles beaucoup plus que tous nos discours actuels.
L’histoire est faite de mouvements de balancier. C’est malheureux, mais c’est ainsi. La tempérance et l’équilibre ne sont pas les vertus premières de l’humanité. Ainsi, passons-nous d’un extrême à l’autre, tout en sachant pertinemment que la vérité se trouve dans l’équilibre. Mais les excès du balancier nous font à chaque fois mieux comprendre et repérer où et comment l’équilibre peut se stabiliser.
L’écologie n’échappe pas à cette loi de l’histoire. C’est pourquoi, il nous faut nous garder de jugements hâtifs à l’emporte- pièce. Des décisions, des actes, ont souvent été pris en réaction à… Même si l’idéologie est parfois présente, il me semble que la réaction épidermique face à une situation concrète est souvent à l’origine de positions ou de renversements de situations.
C’est pourquoi, il convient de lire l’histoire de l’écologie à la lumière des contextes qui l’ont vu émerger. Je ne ferai pas un cours d’histoire, mais je voudrais juste attirer l’attention sur la récupération anachronique très tentante. Le rapport des Pères de l’Église à la Création n’a rien d’écologique. Il est surnaturel. Le regard de saint François d’Assise sur les créatures n’est pas plus écologique, ni même ‘naturophile’, il est spirituel.
Aussi, pouvons-nous et même devons-nous, tirer le meilleur parti de leurs enseignements, mais il paraît difficile d’en faire un modèle écologique actuel.
De la même manière, c’est faire un procès d’intention au passé que de plaquer notre conception moderne de « soumettre la nature » sur la conception médiévale. Tout simplement parce que l’hostilité de la nature n’était pas la même, que les moyens de la domestiquer n’étaient pas aussi puissants et que l’homme soumettait la nature par sa seule force et ingéniosité naturelle. Aujourd’hui la science en vient à modifier notablement la nature et le cours des choses. Ainsi, les termes ne recouvrent-ils pas les mêmes définitions et il faut donc être très prudent.
En fait, nous le savons, la notion actuelle d’écologie est extrêmement récente. Par commodité, nous catholiques, nous l’employons, mais il m’est avis que nous commettons une erreur. Je me demande, et je vous livre la question, si en voulant nous rapprocher de nos contemporains, parler leur langage, nous ne les éloignons pas (et nous avec) de Dieu. Concrètement, nous sommes, me semble-t-il, face à deux erreurs de la part des catholiques et des chrétiens en général. Une erreur de vocabulaire et une erreur de priorité.
· Nous cherchons, en écologie comme ailleurs, à rejoindre le monde en employant les mots du monde. Or dans cette démarche, il y a deux écueils importants. L’appauvrissement des mots et l’amalgame. Lorsque nous disons « écologie », nous cherchons à le penser avec tout notre héritage chrétien. Mais le monde, lui, l’entend à la façon du monde. Ce qui conduit à un dialogue de sourds et à l’impossibilité de nous rejoindre. Au contraire, pour forcer la rencontre, nous nous retrouvons sur le plus petit dénominateur commun et de là nous reconstruisons, sur l’amalgame, un chemin qui n’est pas celui de la foi. Personnellement, j’admire beaucoup le chemin de Benoît XVI sur ce point. Il préfère employer les mots justes et redonner les bonnes définitions. M’est avis que nous devrions nous en inspirer. L’écologie n’est pas l’écologie chrétienne. Et il est très important de le dire et même de le brandir. J’y reviendrai. Certes et c’est heureux, nous avons des points de rencontre et c’est de ces points qu’il nous faut partir pour dialoguer.
· Seconde erreur, l’erreur de priorité. Un pan entier de la théologie a été délaissé par les théologiens depuis des décennies, au profit de recherches annexes ou d’autres disciplines théologiques, à savoir la théologie de la Création. Nous avons pris un gros retard dans ce domaine. Or, ce que nous appelons aujourd’hui écologie chrétienne, l’Église le comprend depuis deux-mille ans comme théologie de la Création.
Et c’est bien, nous l’avons vu, dans cette dynamique là que nous avons à nous situer. L’écologie chrétienne, c’est la théologie de la Création. Mais jusqu’ici nombre de points n’étaient pas une préoccupation, parce que le rapport de l’homme à la Création était simple. C’est précisément cette complexité actuelle qui demande, un nouvel apport de la théologie de la Création. Mais déjà, rien que dans l’intitulé, nous voyons toute la profondeur qui s’y trouve par rapport au terme écologie. Parce que théologie de la Création renvoie à Dieu, au rapport de la Création à Dieu et au contrat tripartite passé entre Dieu, l’homme et la Création.
Nous sommes d’emblée bien au-delà de la simple préservation de la nature. Nous avons trop laissé derrière nous la théologie de la Création, reléguée aux premiers chapitres de la Genèse, c’est-à-dire à l’acte créateur, plus qu’à la Création elle- même.