La musique sacrée en quelques mots

La musique sacrée en quelques mots

Puisque la France va se couvrir de musique (enfin pour une part) ce soir et que depuis quelques années les catholiques profitent de cette fête pour sortir dans la rue et évangéliser par la musique, peut-être pouvons-nous réfléchir un instant à ce qu’est la musique sacrée. 

 

        Parler de Musique cela va de soi. Parler de sacré l’est déjà un peu moins. Parler de musique sacrée nous fait entrer dans une nébuleuse encore plus floue, un fourre-tout dont l’ésotérisme ambiant actuel complique encore davantage les choses.

Pourtant il n’y a pas de sacré sans musique. De tout temps les rites sacrés sont accompagnés de musique. Chaque civilisation, même sur des tam-tams rudimentaires, entoure le sacré d’une musique qui la ritualise.

Alors qu’est-ce que le sacré ? Est sacré ce qui n’est pas profane. Est sacré ce qui est consacré, c’est-à-dire mis à part pour le “sacri-fice”. Car le sacré est d’abord un sacrifice, c’est-à-dire au sens étymologique, faire du sacré (sacrum facere). Le sacré est d’abord et avant tout cet espace mis à part où se déroule une action qui sort du quotidien. Est profane, ce qui est pro fanum hors du temple, hors de l’espace sacré, devant le temple. Profaner c’est rendre profane un espace sacré, c’est le souiller en brisant cette séparation qui le met à part. Sacraliser c’est précisément mettre à part pour le service sacré quelque chose qui de profane devient sacré.

Le propre du sacré est donc de sortir de l’espace quotidien, de l’environnement strictement ordinaire (pro fanum). Le sacré est donc ce qui est hors du temps, hors du contingent matériel. Le sacré est une rupture avec le quotidien, il est donc une transcendance de ce quotidien. Le sacré utilise des éléments d’origine profane, les consacre, les met à part. Si ces éléments sont profanés, c’est-à-dire utilisé à nouveau pour du profane, alors ils perdent leur dimension sacrée et ne peuvent plus servir à cet office sacré qui ouvre à la transcendance. Ce qui est sacré est sacré et seul ce qui est sacré peut ouvrir au sacré, seul ce qui est mis à part pour le sacrifice peut servir le/au sacrifice.

Or qu’est-ce que le sacrifice de tout temps et dans toute civilisation, sinon mettre en relation le monde humain avec le monde divin. Le sacré est ce qui permet, par la mise à part d’objets ordinaires, au profane de rencontrer le divin. Ce qui est sacré est donc ce combiné de choses profanes devenues sacrées qui montent vers le divin et le divin qui rejoint le profane par l’intermédiaire de ces choses sacrées.

Le sacré vise donc à la fois à signifier la mise à part, à marquer les frontières du profane et du divin, à auréoler le divin de ce qui lui est propre par nature, cette aura sacrée, intouchable, et enfin à permettre aux hommes de communiquer avec ce divin sacré et transcendent.

La Musique sacrée entre donc dans cette dynamique. Elle est un élément profane rendu sacré par cet usage unique au service du sacré. Elle a donc ses propres codes, ses propres règles qui n’appartiennent qu’à elle. La musique sacrée doit donc signifier le sacré du divin, signifier au profane qui approche que l’espace est sacré, à part, avertir que l’homme entre dans une autre dimension que son quotidien profane. La musique sacrée doit enfin permettre au profane de sortir de son quotidien pour entrer dans l’univers sacré et rencontrer le divin.

Tel est l’office de la musique sacrée quel que soit le sacré, quel que soit le divin. Elle vise fondamentalement à ouvrir et introduire au divin qu’elle doit nimber.

Il existe donc autant de musiques sacrées et de codes musicaux sacrés que de religions. La musique sacrée protestante est fort différente de la catholique, quel que soit l’usage intensif que les catholiques font de Bach, chantre du protestantisme, autant que de Dieu.

À partir de là il est clair que toute civilisation est marquée par sa musique sacrée car elle est le reflet même de ce qui l’a façonnée. L’architecture du Thoronet est pensée pour un certain grégorien et chanter Mozart, fut-ce une messe, dans l’abbatiale est musicalement une catastrophe. Les œuvres religieuses, sacrées, répondent tout à la fois tant à des impératifs cultuels que culturels. L’espace sacré conçu pour ces rites est donc celui qui sert de cadre aux compositeurs sacrés. Il y a une nécessaire adéquation entre l’œuvre sacrée et le lieu. Les messes de Bach ne peuvent être données partout. La musique sacrée répond à un objectif : signifier et faire entrer dans le sacré. Il faut donc pour qu’elle atteigne son but qu’elle s’inscrive dans un espace sacré, qu’elle l’habite et qu’elle signifie à l’espace lui-même qu’il est sacré. De même que l’art chrétien à façonné le paysage culturel occidental, la musique sacrée  a orienté les habitudes rituelles et collectives.

Dans son rapport au ministre de l’Éducation nationale de 2001, Régis Debray constatait « la menace de plus en plus sensible d’une déshérence collective, d’une rupture des chaînons de la mémoire nationale et européenne où le maillon manquant de l’information religieuse rend strictement incompréhensibles, voire sans intérêt, les tympans de la cathédrale de Chartres, le Dom Juan de Mozart. C’est l’aplanissement, l’affadissement du quotidien, dès lors que la Trinité n’est plus qu’une station de métro […] Le but n’est pas de remettre Dieu à l’école, mais de prolonger l’itinéraire humain à voies multiples qu’on appelle aussi culture. Traditions religieuses et avenir des Humanités sont embarquées sur le même bateau. » Il en concluait l’importance de ré-enseigner le fait religieux dans les écoles. Conclusion approuvée par le ministre Jack Lang.

 

 

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