On connaît bien l’histoire des Jésuites en Amérique du Sud par le célèbre film Mission, tiré de la pièce de Fritz Hochwälder, Sur la terre comme au ciel. Grâce à ce film, le grand public sait l’impact qu’on eut les fils de saint Ignace par le truchement notamment de la musique. Leur histoire est passionnante, leur musique originale allie la richesse occidentale au génie amérindien.
Aquarelle de Florian Pancke, s. j. © UNESCO
Leur présence sur le nouveau continent s’étend de 1561 à 1767, année de leur expulsion du continent américain. Leur intense activité, leur expérience unique de réduction, se situent surtout dans les provinces de Maynas, Moxos et Chiquitos (aujourd’hui Santa Cruz-Bolivie) qui comptait 18 villages, et la province du Paraguay fondée en 1607 (aujourd’hui territoire argentin, brésilien et paraguayen), qui comptaient 30 réductions. Les réductions sont des territoires administrés par les jésuites, où les autochtones ont été conquis par l’évangélisation et non les armes. Elles forment comme un Etat théocratique que jalousent les autres colons.
Andrea POZZO, Allégorie de l’oeuvre missionnaire des jésuites (détail) – 1691-1694 – Fresque – église Sant’ Ignazio, ROME.
Ainsi donc, des plain-chants introduits par les premiers missionnaires jusqu’au langage extraverti du baroque, adopté comme leur étant propre par les indigènes, passèrent 150 ans. Les missionnaires trouvèrent dans l’art, et spécialement la musique, le support idéal de l’évangélisation.
Pour connaître le monde musical de ces réductions, nous devons avant tout parler des maîtres les plus importants de la musique et des arts qu’eurent les missions. Aujourd’hui inconnus, peu, voir jamais enregistrés, ils ont pourtant façonné un continent.
Le premier, Jean Vaisseau (1584-1617), un jésuite Belge, participa au théâtre d’Albert d’Autriche, de qui il reçut des applaudissements et fut également maître de Chapelle de Charles V. Pedro Comentale (1595-1665), jésuite napolitain, musicien et mathématicien, partit en 1620 pour les missions guaranis jusqu’à sa mort. C’est grâce à son action que la réduction de San Ignacio devint le premier centre musical de cette région des Amériques. Quant au Français Louis Berger (1587-1639), il fut à la fois peintre, orfèvre, musicien, danseur, et facteur d’instruments. Avec sa musique, il se rendit très populaire parmi les indiens du Paraguay, laissant d’innombrables disciples. D’après Berthod chroniqueur de l’époque, «il enseignait selon le bon goût français », et «le suivaient les indiens comme captivés ; à l’écouter chanter et jouer ils restaient jusqu’à quatre heures comme immobiles ». De lui, le père Durand écrit : « les indiens ont appris avec une admirable facilité à chanter et à jouer des instruments, ayant comme premier maître notre frère Louis Berger, cithariste illustre. » Entre 1634 et 1639, il est envoyé au Chili à la demande du provincial de la Compagnie de ce pays pour y introduire la musique
Le père Lozano dans ses lettres annuelles de 1735-1743, nous livre une réflexion du père Gabriel Novat concernant la dévotion des indiens, notamment lors de la Semaine Sainte : « Durant la Semaine Sainte tous les indiens et indiennes assistaient à tous les offices, chantant durant la matinée les matines à deux chœurs et de manière aussi parfaite (…). Les Prophéties et les Lamentations étaient chantés par les enfants sopranos, non pas de n’importe quelle manière sinon avec les modulations de style italien. La passion, les répons et les prophéties s’alternent sans interruption avec aires et motets. Tout s’effectue avec une rigueur et dévotion et je suis étonné que les musiciens aient autant d’endurance. J’ai partagé mon admiration au père Curé pour tout ce que j’y ai vu.»
Le Père Cattaneo enfin, s.j. , nous raconte : « Parmi les danses qu’ils possédaient, une particulièrement gracieuse qui pouvait être vue avec plaisir par n’importe quel européen consistait en douze jeunes hommes vêtus à la manière des anciens nobles incas du Pérou, et tous venaient avec un instrument, quatre avec des petites harpes pendant à leur cou, d’autres avec guitares et d’autres avec des petits violons ; et eux-mêmes jouaient et dansaient en même temps, mais avec une telle rigueur dans les cadences et un tel ordre dans les figures, qu’ils gagnaient les applaudissements et l’approbation de tous. C’étaient la même chose avec toutes les danses, le plus admirable étant à mon avis l’exactitude du temps et de l’ordre, sans une erreur aussi longues fussent-elles, Nous nous réjouissions aussi avec leurs arcs et flèches et autres exercices d’armes. Cependant, le meilleur était la musique de tous les jours dans l’église, qui durait tout au long des messes, c’est à dire, quasiment toute la matinée, répartie en deux chœurs l’un en face de l’autre, se succédant l’un après l’autre »
Evangelina Burchardt, chef d’Orchestre