Les premiers jours de la Grande Semaine
Au long des premiers jours de la Grande Semaine : lundi, mardi, mercredi, les offices se déroulent au fil des heures mais sont plus développés que durant les semaines précédentes du carême ; des temps de prière et de lectures bibliques s’y ajoutent tout au long de la journée et même d’une partie de la nuit. Les fidèles continuent d’observer un jeûne strict. Ils sont jour après jour conduits vers le Jeudi-Saint, revivant sur les lieux mêmes les événements qui ont précédé la Cène puis, au-delà, l’arrestation et la crucifixion de Jésus.
Le lundi
« Le lundi, on fait tout ce qu’il est d’usage de faire à l’Anastasis depuis le chant du premier coq jusqu’au matin ; de même, on fait à la troisième heure et à la sixième ce qu’on fait pendant tout le carême. A la neuvième heure, tous se rassemblent dans l’église majeure, c’est-à-dire le Martyrium, et là jusqu’à la première heure de la nuit, on dit continuellement des hymnes et des antiennes ; on lit des lectures appropriées au jour et au lieu, en intercalant toujours des prières. » (32, 1).
Le Lectionnaire arménien donne la liste de ces lectures à Jérusalem au Ve siècle : des passages de la Bible, en particulier de la Genèse, du Livre des Proverbes, du livre d’Isaïe et de l’évangile de Matthieu (20, 17-28). Tous ces textes, comme ceux qui seront lus les jours suivants, sont des textes-clefs de la Bible, par lesquels on entend annoncer le salut apporté par le Christ, grâce en particulier aux grandes figures de la Genèse : Adam, Noé, Abraham, Isaac.
« Le lucernaire aussi se fait là dès qu’il est l’heure de le faire, de sorte qu’il fait déjà nuit quand on fait le renvoi au Martyrium. Quand on a fait le renvoi, l’évêque est conduit, avec des hymnes, à l’Anastasis. Quand il est entré, on dit un hymne, on fait une prière, les catéchumènes sont bénis, puis les fidèles, et on fait le renvoi. » (32, 2).
Le mardi
« Le mardi, on fait tout comme le lundi. La seule chose que l’on ajoute le mardi, c’est à la nuit, le soir, quand on a fait le renvoi au Martyrium, qu’on est allé à l’Anastasis et qu’à nouveau on a fait le renvoi à l’Anastasis, tous, à ce moment-là, vont de nuit à l’église qui est sur la montagne de l’Éléona. Lorsqu’on est arrivé dans cette église, l’évêque entre dans la grotte – la grotte où le Seigneur avait coutume d’instruire ses disciples –, il prend le livre de l’évangile et, debout, il lit lui-même les paroles du Seigneur qui sont inscrites dans l’évangile selon Matthieu, là où il est dit : « Prenez garde que personne ne vous séduise ». L’évêque lit ce discours en entier. Quand il l’a terminé, on fait une prière, les catéchumènes sont bénis, puis les fidèles, on fait le renvoi et chacun revient dans sa maison ; il est très tard, c’est déjà la nuit. » (33, 1-2)
Le Lectionnaire arménien précise l’extension de la péricope évangélique : il s’agit du « discours eschatologique » qu’une tradition ancienne, dont Égérie se fait l’écho, place dans la grotte de l’Éléona, d’où la station dans cette église deux jours avant la commémoration de l’arrestation de Jésus. Le texte commence ainsi en Matthieu, 24, 4 « Prenez garde qu’on ne vous abuse. Car il en viendra beaucoup sous mon nom qui diront : “C’est moi le Christ”, et ils abuseront bien des gens » et il se termine en Mt 26, 2 : « Et il arriva, quand Jésus eut achevé tous ces discours, qu’il dit à ses disciples : “La Pâque, vous le savez, tombe dans deux jours et le Fils de l’Homme va être livré pour être crucifié” ».
Le mercredi
« Le mercredi, on fait tout au long de la journée depuis le chant du coq, comme le lundi et le mardi. Mais après qu’on a fait le renvoi de nuit au Martyrium et qu’on a conduit l’évêque à l’Anastasis avec des hymnes, aussitôt l’évêque entre dans la grotte qui est dans l’Anastasis et il se tient à l’intérieur des grilles. Un prêtre se trouve devant la grille ; il prend l’évangile et lit le passage où Judas Iscariote alla trouver les Juifs et fixa le prix qu’ils donneraient pour livrer le Seigneur. » (34)
Il s’agit de Mt 26, 14-16 :« L’un des Douze qui s’appelait Judas Iscariote, alla trouver les grands prêtres et leur dit : “Que voulez-vous me donner et moi je vous le livrerai ? ”Ceux-ci lui versèrent trente pièces d’argent. Et de ce moment il cherchait une occasion favorable pour le livrer ».
« Quand on a lu ce passage, ce sont de tels cris et de tels gémissements de tout le peuple qu’il n’est personne alors qui puisse n’être pas touché jusqu’aux larmes. Ensuite on fait une prière, les catéchumènes sont bénis, puis les fidèles, et on fait le renvoi » (34).
Françoise Thelamon, professeur d’histoire du christianisme