Les nouveaux baptisés qui ont été l’objet d’une catéchèse progressive au cours du catéchuménat et tout spécialement durant le carême, n’ont pourtant pas entendu tout ce qui ne peut pas être révélé avant le baptême. L’évêque les en a informés :
« D’un mystère plus profond, le baptême lui-même, vous ne pouvez entendre parler tant que vous êtes encore catéchumènes. Pour que vous ne pensiez pas que quoi que ce soit se fasse sans explication, lorsque, au nom de Dieu, vous aurez été baptisés, vous entendrez parler à l’Anastasis pendant l’octave de Pâques, après qu’on aura fait le renvoi de l’église Mais parce que vous êtes encore catéchumènes, on ne peut vous parler des mystères divins les plus secrets. » (46, 6)
Dès le lendemain de Pâques, le moment est venu pour parfaire la révélation des mystères aux nouveaux baptisés.
La catéchèse après le baptême pendant l’octave de Pâques
« Lorsque sont arrivées les fêtes de Pâques, pendant les huit jours qui vont de Pâques à l’octave, lorsqu’on a fait le renvoi de l’église et qu’on est allé à l’Anastasis avec des hymnes, on fait aussitôt une prière et les fidèles sont bénis ; puis l’évêque, adossé à la grille intérieure de la grotte de l’Anastasis, explique tout ce qui se fait au baptême » (47, 1)
Les catéchèses qui suivent le baptême – les catéchèses mystagogiques – sont prêchées à l’Anastasis, comme l’indique, avant Égérie, Cyrille, évêque de Jérusalem de 348 à 387 : « Après le saint et salutaire jour de Pâques, à partir du lundi, chaque jour de la semaine, entrant après la synaxe dans le saint lieu de la résurrection (anastasis), vous entendrez d’autres catéchèses, si Dieu le veut » ( Catéchèse 18, 33) dit Cyrille au début de son épiscopat ; mais à l’époque d’Égérie, il n’y a que cinq catéchèses au cours de la semaine ; c’est d’ailleurs le nombre des Catéchèses mystagogiques qui nous sont parvenues sous le nom de Cyrille de Jérusalem. Égérie à maintes reprises mentionne « l’évêque », sans toutefois le nommer, mais c’est bien Cyrille qu’elle a pu entendre.
Ces catéchèses expliquent aux nouveaux baptisés la signification des sacrements (mystères) qu’ils viennent de recevoir : baptême, confirmation, eucharistie.
« A cette heure-là, aucun catéchumène n’a accès à l’Anastasis ; seuls les néophytes, et les fidèles qui veulent écouter les mystères entrent à l’Anastasis. On ferme les portes, pour qu’aucun catéchumène ne s’y rende. Quand l’évêque traite de chaque point et en fait le récit, ce sont de tels cris d’approbation qu’on entend les cris jusqu’à l’extérieur de l’église. Car, en vérité, il dévoile tous les mystères d’une telle façon que nul ne peut être insensible à ce qu’il entend ainsi expliquer. » (47, 2)
Cyrille, lui aussi, signale ces acclamations laudatives de l’auditoire.
Des célébrations en trois langues adaptées aux lieux où elles se déroulent
« Comme, dans cette province, une partie de la population sait à la fois le grec et le syriaque, mais une autre que le syriaque, et comme l’évêque, bien qu’il sache le syriaque, parle toujours en grec et jamais en syriaque, il y a toujours un prêtre qui traduit en syriaque ce que l’évêque dit en grec, pour que tous comprennent ses explications. De même, parce que les lectures qu’on lit à l’église doivent être lues en grec, il est toujours là, traduisant en syriaque à cause du peuple, pour qu’on s’instruise sans cesse. Quant à ceux qui sont ici des Latins, c’est-à-dire qui ne savent ni le syriaque ni le grec, pour qu’ils ne soient pas contristés, on leur donne à eux aussi des explications, car il y a des frères et des sœurs sachant le grec et le latin qui les leur donne en latin. » (47, 364)
Égérie fournit ici une information très concrète sur le caractère officiel du grec comme langue de la liturgie dans cette région, tout en indiquant l’importance du syriaque comme unique langue parlée par une grande partie de la population et la nécessité d’avoir en permanence un prêtre traducteur. Cyrille maîtrisait les deux langues ; on a émis l’hypothèse que le syriaque était sa langue maternelle.
Quant aux Latins, ils étaient nombreux ; pèlerins comme Égérie mais surtout moines et moniales résidant à Jérusalem ou dans les environs. Les Lieux Saints ont attiré, dès la fin des persécutions, des hommes et des femmes qui souhaitaient embrasser la vie monastique, venant de toutes les régions de l’Empire romain. Mélanie l’Ancienne, dame de l’aristocratie romaine veuve, et Rufin d’Aquilée avaient fondé des monastères d’hommes et de femmes à Jérusalem sur le mont des Oliviers et accueillaient les pèlerins. De même, une décennie plus tard, en 385, Paula et sa fille, avaient quitté Rome, fondant, avec Jérôme, à Bethléem, un monastère masculin et un monastère féminin ainsi qu’un hospice pour les pèlerins. Si Jérôme et Rufin, bilingues, furent de grands traducteurs d’œuvres grecques en latin, bien des Occidentaux à l’époque ne savaient pas le grec. Le latin était d’ailleurs la langue officielle de l’Empire.
Et Égérie de conclure, souhaitant faire partager sa joie et son admiration :
« Mais ce qui ici, surtout, est vraiment agréable et vraiment admirable, c’est que, toujours, aussi bien les hymnes que les antiennes, les lectures et les prières que dit l’évêque sont en de tels termes qu’elles sont toujours appropriées et adaptées à la fête qui est célébrée et à l’endroit où elle se célèbre. » (47, 5)
Françoise Thelamon, professeur d’histoire du christianisme