Entretien avec le Secrétaire d’État du Saint-Siège au retour de sa visite en Irak, où il a célébré Noël avec les communautés chrétiennes. Le cardinal évoque aussi la rencontre de février sur la protection des mineurs.
Cardinal Pietro Parolin, les images que nous avons pu recevoir de votre visite en Irak montraient une grande émotion. Qu’est-ce que cela a représenté pour vous, de célébrer Noël avec l’Église martyre en Irak ?
Je dirais que la parole que vous avez utilisée, «émotion», est la bonne : une grande émotion dans cette rencontre avec les communautés chrétiennes de l’Irak, et une grande joie de ma part bien sûr, et de leur part aussi me semble-t-il. Je me suis senti vraiment content de pouvoir leur apporter la proximité du Pape, son affection, sa bénédiction, l’attention avec laquelle il a toujours suivi leurs problèmes. Je crois que le voyage s’est bien passé parce qu’il s’est tenu dans ce temps spécial de Noël, dans lequel il y a un climat de fête et de joie. Naturellement, cela a été une occasion pour partager les souffrances des années récentes et aussi un peu les incertitudes du présent, mais dans le même temps, aussi les espérances pour le futur. En tout cas je le définirais vraiment comme un moment de grâce pour lequel je suis immensément reconnaissant au Seigneur.
Comment avez-vous trouvé cette communauté qui, comme vous le disiez, vit avec joie la foi au milieu de tant d’épreuves ? Quel témoignage, selon vous, donne une communauté comme celle-là aux autres chrétiens du monde ?
Dans les interventions que j’ai fait, surtout dans les homélies, j’ai beaucoup insisté sur ce point : «Vous êtes un témoignage pour l’Église universelle. L’Église universelle vous est reconnaissante pour ce que vous avez vécu, pour la façon dont vous l’avez vécu, et elle doit prendre exemple sur vous, sur cette capacité de supporter les souffrances, les afflictions pour le nom de Jésus.» Ils proposent cette attitude exemplaire à toute l’Église qui, comme dit le Concile, «vit entre les persécutions du monde et les consolations de Dieu». Mais ce qui m’a particulièrement frappé a été la fierté, dans le bon sens du terme, avec laquelle ces frères et sœurs vivent leur foi : ils se sentent fiers d’être chrétiens et de continuer à l’être au milieu de tant de difficultés, de tant d’épreuves et de tant de luttes !
Un voyage qui vous a donné aussi de nombreuses images fortes, touchantes. Il y en a une qui vous a touché plus que l’autre, qui peut-être résume votre visite ?
Les images ont été très nombreuses, parce que chaque rencontre est bien présente, fixée dans ma mémoire. Certainement la destruction de Mossoul est une chose qui m’a profondément marqué, voir les églises, mais aussi les maisons, les immeubles, toute la partie de la ville qui a le plus souffert des combats. Mais une autre chose qui m’a beaucoup impressionné, c’était ces églises, qu’elles soient chaldéennes ou syro-catholiques, pleines de gens : des hommes, des femmes, des enfants, des jeunes. Tous chantaient et priaient. Tu te sentais transporté par leur façon de prier !
Une dernière image qui me semble aussi particulièrement adaptée pour la situation de l’Irak est celle-ci: quand nous étions à Mossoul, il était difficile de cheminer par la route parce qu’il y avait les ruines au milieu. Le gouverneur de Mossoul a voulu venir me saluer, et à un moment, il m’a pris par la main. Je l’ai ressenti comme un moment très beau qui devrait être symbolique de ce qu’est la collaboration entre chrétiens et musulmans : se prendre par la main et s’aider mutuellement. À ce moment-là, alors qu’il pleuvait des cordes, un bel arc-en-ciel est apparu dans le ciel. Quel symbole ! Aussi ceci, le symbole de la paix, de l’alliance. Ce sont les images principales, mais il y en a beaucoup d’autres.
Votre visite a rallumé évidemment les espérances pour une visite du Pape François en Irak : qu’est-ce que les gens que vous avez rencontré vous ont dit à ce sujet ?
Les gens ont été très contents pour cette présence. Ils ont ressenti aussi dans la présence du Secrétaire d’État la présence du Pape, parce que moi je suis allé là au nom du Pape pour apporter la proximité du Pape ! Mais tous justement, d’une seule voix, espèrent qu’il puisse lui-même visiter l’Irak au plus vite et les réconforter personnellement. Et je m’unis aussi moi-même à cette espérance des chrétiens irakiens : que se créent les conditions naturellement pour lesquelles le Saint-Père puisse se rendre en Irak et puisse partager des moments de prière et de rencontre avec nos frères. Ce serait certainement un très grand encouragement pour eux dans les difficultés qu’ils doivent encore affronter.
Dans le discours pour les vœux de Noël à la Curie, le Pape François a parlé de deux grandes afflictions : le martyre, justement, et ensuite les abus. Sur ce dernier thème délicat, quelles sont vos espérances en vue aussi de la rencontre de février ?
Je pense que ce sera une rencontre très importante, à laquelle on est en train de se préparer avec beaucoup d’engagement. Mes espérances sont que cette rencontre convoquée par le Pape, avec tous les présidents de conférence épiscopale, puisse renforcer, ou continuer, pour mieux dire, – puisque l’engagement de l’Église dans la lutte contre ce phénomène des abus existe déjà – , l’attention en faveur des victimes et surtout la création de conditions de sécurité pour les mineurs et pour les personnes vulnérables. Il me semble que c’est surtout sur ce point que se concentrera l’attention des participants : comment créer un environnement sûr pour les mineurs et les personnes vulnérables. Donc, moi j’espère que l’on chemine sur cette voie et en même temps qu’il y ait une approche qui devienne plus commune pour toute l’Église face à ce phénomène. Naturellement, ensuite, chacun pourra l’appliquer, aussi en fonction de sa situation locale, mais il faut que la politique soit claire pour toutes les Églises. Qu’il y ait aussi une approche qui prenne en compte tous les aspects du phénomènes, qui sont multiples et interconnectés entre eux, et qu’ensuite on procède à une approche qui s’inspire des critères évangéliques vis-à-vis de toutes les personnes.
Pour conclure, cardinal Parolin, 2019 se présente comme une année déjà riche d’engagements pour le Saint-Père : de nombreux voyages, de nombreux évènements importants. Quel souhait voulez-vous lui faire, en tant que son collaborateur le plus proche ?
Je dirais, et je le fais vraiment à la fin de l’année mais aussi au début de l’année 2019, que le Seigneur soutienne le Saint-Père dans son don continu de lui-même en faveur de l’Église et des communautés chrétiennes qui se trouvent en situations de difficulté et de marginalité. Et qu’il puisse continuer à allumer cette espérance et cet amour dans le cœur des hommes, pour lequel beaucoup de gens l’apprécient et le sentent particulièrement proche ; beaucoup voient en lui une espérance d’un monde plus solidaire, un monde plus pacifique, d’un monde fait à la mesure de l’homme et de la fraternité. Voilà, face aux nombreux défis d’aujourd’hui, ceci est le souhait que je fais au Saint-Père pour la nouvelle année.