Infaillibilité et impeccabilité pontificales

Infaillibilité et impeccabilité pontificales

Les cardinaux peuvent-ils interroger le pape ? Des théologiens peuvent-ils demander le retrait d’Amoris laetitia ? Et l’infaillibilité alors ? Les questions que soulèvent Amoris Laetitia, nous donne l’occasion de repréciser le champ précis de cette infaillibilté pontificale parfois comprise comme totalitarisme.

Dans une tribune, Randall Smith, professeur de théologie (chaire Scanlan) à l’université Saint Thomas à Houston (Texas) distingue infaillibilité, impeccabilité et faillibilité personnelle de l’homme pêcheur qu’est le souverain pontife, rappelant à sa manière la pensée célèbre de Saint Jean de la croix, « il vaut mieux avoir tort de l’Église que raison en dehors ». Combien de catholiques donneurs de leçon au saint Père, seraient bien avisés de se former et s’informer avant de parler ! Combien pourraient tout simplement ouvrir les yeux sur leur propre faillibilité, avec un peu plus d’humilité et beaucoup plus de vérité. Combien à l’inverse devraient aller voir leurs évêques et leurs rappeler qu’ils ne sont pas au dessus des lois de l’Église et de l’Évangile. Il ne serait pas étonnant qu’une telle tribune soit sujete à débat.

En 1986, le pape Jean-Paul II a organisé une Journée Mondiale de la Paix à Assise, à laquelle il a invité 160 chefs religieux, y compris des juifs, des bouddhistes, des sikhs, des hindous, des jaïns, des zoroastriens et des membres des religions traditionnelles africaines. Certains catholiques ont été scandalisés. Par la suite, Jean-Paul II a publié les encycliques Centesimus Annus (1991), Veritatis Splendor (1993), Evangelium Vitae (1995) et Fides et Ratio (1998).

Question : si un catholique a été scandalisé par la réunion de prière à Assise, est-il obligé de donner à l’enseignement de ces encycliques « la soumission religieuse de sa volonté et de son intelligence » ?

En 1929, le pape Pie XI a signé le traité de Latran avec le gouvernement fasciste de Benito Mussolini, traité qui reconnaissait le Vatican comme État indépendant et accordait à l’Église le soutien financier du gouvernement de Mussolini. A ce moment-là – et même depuis – nombreux ont été ceux qui ont été extrêmement critiques vis-à-vis de cette décision, à la fois parce que c’était un pacte avec les fascistes et parce que Pie XI avait renoncé à l’autorité traditionnelle des papes sur « les États Pontificaux ». Les catholiques qui pensent que la décision de Pie XI était une erreur monumentale sont-ils tenus de respecter les enseignements de Quadragesimo Anno, Quas Primas ou Divini Redemptoris ?

En 1633, le pape Urbain VIII a fermement rejeté le jugement des membres de son propre tribunal inquisitorial, qui déclarait qu’il fallait pardonner à Galilée « l’erreur » d’avoir publié son Dialogue sur les deux grands systèmes du monde (NDT : où il comparait la thèse aristotélicienne et la thèse copernicienne du mouvement des planètes et des astres). Urbain, qui avait précédemment été un défenseur et un protecteur de Galilée semble avoir pris la mouche parce que Galilée a placé un des propres arguments du pape dans la bouche de son personnage nommé Simplicio (le simplet). La décision du pape d’incarcérer Galilée est devenue tristement célèbre. Est-ce que cette unique décision rend caduc tout le reste de ce qu’il a enseigné sur la foi et la morale ?

Il faut faire la différence. L’Eglise soutient que les pape peuvent, dans certains cas, quand ils désirent explicitement le faire, enseigner infailliblement en matière de foi et de morale. Dans toute l’histoire de l’Eglise, il y a peut-être huit proclamations qui réunissent les critères rigoureux pour prétendre à l’infaillibilité. La plupart des enseignements des papes font autorité mais ne sont pas infaillibles, n’exigeant pas un « consentement de la foi », comme le fait un enseignement infaillible, mais « la soumission religieuse de l’intelligence et de la volonté ».

Est-il licite pour un catholique sincère d’être en désaccord avec un enseignement du pape donné avec autorité mais n’engageant pas l’infaillibilité ?

Mais oui. Si une personne a étudié avec attention l’enseignement en question et que, après suffisamment de prière et de réflexion, elle ressent que la correction fraternelle est de mise, alors elle doit exprimer publiquement son désaccord, du moment que : A) ses raisons sont sérieuses et bien fondées ; B) son désaccord ne remet pas en question le magistère de l’Eglise et que C) la nature du désaccord n’est pas de nature à créer un scandale.

J’ai d’ailleurs souvent pensé que ces quelques règles seraient un bon mode d’emploi pour gérer les désaccords avec à peu près n’importe qui. Vous devez avoir de bonnes raisons pour tenir votre position ; vous devez veiller à ne pas mettre en doute l’intégrité ou les bonnes intentions de votre interlocuteur, et vous devez argumenter de façon à ne pas créer le scandale. On a rarement la victoire sur les autres (y compris les spectateurs) en les persécutant ; généralement, on arrive seulement à donner mauvaise presse à son propre camp.

D’accord pour les enseignements papaux. Mais qu’en est-il des actions papales ? De concert avec le don d’infaillibilité, les papes ont-ils le don « d’impeccabilité » (du latin peccatum qui signifie péché), un charisme spécial garantissant qu’ils ne font jamais d’erreur ?

L’Eglise n’a jamais prétendu cela. Bien au contraire, les plus ardents défenseurs de l’infaillibilité l’ont toujours distingué de l’impeccabilité précisément parce que : A) il est clair que certains papes ont commis de graves péchés et que B) c’est un article de foi que chaque pape est un pécheur, exactement comme le reste d’entre nous, ayant besoin de la grâce salvatrice de Dieu, obtenue par la mort et la résurrection du Christ. Nous n’adorons pas l’homme, nous respectons la fonction, nous avons confiance dans la promesse du Christ d’être avec Son Eglise jusqu’à la fin des temps et d’envoyer Son Esprit Saint pour la guider et la protéger.

Il y a des années, quelqu’un m’a dit que Jean-Paul II ne donnait pas la communion dans la main, ce qui montrait qu’il condamnait cette pratique. Je prétend que si le pape voulait faire passer ce message, il avait pléthore de canaux officiels pour le faire. Il y a une sorte de papolâtrie qui, à long terme, est préjudiciable. Je me demande ce que mon ami dirait maintenant. S’il en est toujours à confondre les actions personnelles du Pape avec son enseignement officiel, il est probablement désorienté – et en colère.

Observer toute action d’un pape en fonction de sa signification politique, c’est la même sorte de folie que celle qui a poussé certains à condamner le Christ pour avoir mangé (non mais vous vous rendez compte !) avec des prostituées et des collecteurs d’impôt. De tels actes étaient réputés « causer du scandale », « semer la confusion » et « venir en aide aux ennemis de l’Eglise ». Peut-être que oui, peut-être que non. « Le temps nous dira où se situe la vraie sagesse. »

Certains papes ont fait des erreurs majeures. Mais tous les papes font des erreurs, ce ne sont que des humains après tout. Si vous voulez l’absolue perfection, vous cherchez une Église qui n’existe pas, une promesse creuse du Père du Mensonge, pas l’Église établie par Jésus-Christ.

Être déçu ou désorienté par un pape, c’est une situation assez commune dans l’histoire de l’Église. Mais les catholiques qui s’imaginent qu’ils ont l’autorité pour mettre en place les critères canoniques pour juger l’enseignement de quelque pape que ce soit démontrent simplement : A) qu’ils ont toujours été protestants, et B) que leur vision de l’autorité est celle qui caractérise trop bien la politique américaine contemporaine : le travail de l’autorité, c’est de faire ce que je dis et d’écraser mes contradicteurs.

L’Église n’a pas toujours été bien servie par ses papes. Mais je le redis encore, elle l’a été encore plus mal quand elle a prêté l’oreille aux voix bien pensantes et moralisatrices de la foule – tout spécialement quand elles crient « crucifie-le. »

Traduction France catholique

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