Intan Olivia Banjarnahor n’aura pas survécu à ses blessures. Ce matin, cette jeune enfant, âgée de 2 ans et demi, est décédée après avoir été brûlée hier lors d’une attaque au cocktail Molotov visant un temple protestant de Bornéo. Trois autres jeunes enfants sont toujours hospitalisés, blessés lors de cette attaque menée par un homme âgé de 32 ans, que la police présente comme proche des milieux islamistes et qui a avait été condamné en 2011 à trois ans et demi de prison pour participation à un projet d’attentat. L’attaque de l’église chrétienne intervient dans un climat politique lourd de menaces, à quelques mois d’échéances électorales importantes sur lesquelles les formations musulmanes extrémistes cherchent à peser.
L’attaque s’est produite à Samarinda, capitale de la province de Kalimantan-Est, sur la côte orientale de l’île de Bornéo. Peu après 10h15, dimanche 13 novembre, le culte dominical était en passe de se terminer dans l’église de la communauté protestante Oikumene, affiliée à la Batak Society Christian Church, une des plus importantes dénominations protestantes du pays. Afin de ne pas troubler le recueillement de la centaine de fidèles qui se trouvaient là, une poignée de très jeunes enfants, âgés de 2 à 5 ans, jouait sur le parvis de l’église, un modeste lieu de culte, lorsqu’un homme en mobylette a lancé sur eux un cocktail Molotov. Rapidement évacués vers le principal hôpital de la ville, les enfants ont été pris en charge, mais Intan Olivia Banjarnahor, brûlée sur les trois quarts du corps, n’a pas survécu.
Des forces de police déployées devant les églises chrétiennes
Selon le Rév. Sabar Maringan Manullang, de la Batak Society Christian Church, le nombre des victimes aurait pu être encore plus élevé si le pasteur du lieu de culte n’insistait pas pour que les parents amènent leurs enfants dans l’église. « Mais certains enfants refusent d’y aller, et ils ont été victimes de cette attaque à la bombe », a-t-il expliqué à l’agence Ucanews.
A l’archidiocèse catholique de Samarinda, Mgr Yustinus Harjosusanto a déclaré que l’attaque devait être « prise au sérieux comme un ‘signal’ », estimant que le climat politique était ces derniers temps « la proie des terroristes ». L’archevêque a aussi précisé que les catholiques à Kalimantan « ne cédaient pas à la panique » et qu’il appréciait le fait qu’immédiatement, dans l’après-midi du dimanche, les autorités avaient déployé des forces de sécurité devant les églises chrétiennes de Samarinda.
A Djakarta, l’attaque dirigée contre l’église chrétienne n’a pas été perçue comme un fait divers isolé. Le président de la République Joko Widodo a dès le dimanche après-midi fait savoir qu’il avait « donné instruction au chef de la police nationale de faire respecter le droit sans faiblir et d’ouvrir une enquête approfondie » sur ce qui s’était passé le matin même à Samarinda.
Un terroriste repris de justice
Sur place, la police a très rapidement arrêté l’auteur de l’attaque, un certain Johanda, ou Jo Bin Muhammad Aceng Kurnia, et il s’est avéré que ce dernier avait un casier judiciaire chargé. En mai 2011, Johanda avait en effet été condamné à trois ans et demi de prison ferme pour avoir pris part à un double projet d’attentat visant un centre universitaire doté d’un réacteur nucléaire de recherche et une méga-église pentecôtiste, la Christ Cathedral Church, tous deux situés à Serpong, dans la province de Banten, à la pointe occidentale de Java.
L’annonce de ce passé chargé a suscité un débat en Indonésie sur la politique pénale de l’Etat. Johanda a en effet été libéré le 28 juillet 2014 après avoir bénéficié d’une remise de peine pour « bonne conduite » en détention, une remise de peine accordée comme il est de coutume en Indonésie à l’occasion de l’Eid ul-Fitr (Idul Fitri), les festivités qui marquent la fin du Ramadan. Il semble de plus que tout juste libéré, Johanda a directement rejoint la branche de Kalimantan-Est de la Jamaah Ansharut Daulah (JAD), une organisation terroriste présentée comme le soutien de Daech (l’organisation Etat islamique) en Indonésie. Johanda aurait eu de plus des contacts avec des groupes radicaux de Java-Est en quête d’armes aux Philippines. Un parcours qui, selon la presse indonésienne, soulève des questions sur l’efficacité des programmes de déradicalisation mis en place dans les prisons du pays et sur le suivi des anciens condamnés remis en liberté.
Pression des organisations musulmanes radicales
Dans ce vaste pays-archipel de 240 millions d’habitants où les musulmans représentent officiellement 87 % de la population et les chrétiens 10 %, l’attaque de Samarinda en rappelle une autre commise cette année. En août dernier, un jeune musulman âgé de 17 ans avait pénétré lors de la messe dominicale dans l’église Saint-Joseph, à Medan, capitale de la province de Sumatra-Nord, et attaqué au couteau le prêtre catholique qui officiait, le P. Albertus S. Pandiangan, 60 ans, blessant celui-ci au bras.
L’attaque de Samarinda intervient aussi quelques jours après la manifestation organisée le 4 novembre dernier à Djakarta et dans plusieurs villes du pays par les organisations musulmanes radicales telles que le Front des défenseurs de l’islam. Demandant la condamnation en justice de Ahok, l’actuel gouverneur de Djakarta, ces organisations font peser une forte tension sur la société. Elles reprochent au gouverneur d’avoir tenu en septembre dernier des propos hostiles au Coran et veulent donc le voir traduit en justice pour blasphème, en réclamant la peine de mort à son encontre. Chrétien de confession protestante et d’origine chinoise, le gouverneur ne se laisse pas intimider et poursuit sa campagne en vue de son éventuelle réélection lors du scrutin prévu en février 2017. Mais, le 7 novembre, il a dû répondre durant neuf heures d’affilée aux questions des enquêteurs de police, saisis de cette plainte pour « blasphème » et, au cas où la plainte soit classée sans suite, le Front des défenseurs de l’islam a d’ores et déjà appelé à des manifestations de masse pour le 25 novembre prochain.
Selon l’enquête de police à Samarinda, le 13 novembre au matin, lors de l’attaque visant la communauté protestante, Johanda arborait un T-shirt où il était écrit « Jihad Way of Life ». Affirmant dans un premier temps que Johanda avait agi seul, la police a par la suite procédé à l’interpellation de cinq autres personnes. Par ailleurs, toujours à Bornéo mais dans la province de Kalimantan-Ouest, dans la nuit du 13 au 14 novembre, un cocktail Molotov a été lancé sur un temple bouddhiste, à Singkawang, occasionnant des dégâts légers mais sans faire de victimes.
Source : Eglises d’Asie