Le procès pour blasphème intenté contre le gouverneur de Djakarta, personnalité politique qui présente la double particularité d’appartenir à la fois à la minorité d’origine chinoise et d’être de confession chrétienne, se poursuit. A trois semaines des élections du 15 février prochain, le gouverneur n’entend pas se laisser faire, tandis que les milieux chrétiens, de leur côté, ne restent pas inactifs.
Ce 25 janvier verra la tenue de la septième session du procès ouvert le 13 décembre dernier contre le gouverneur de Djakarta, Basuki Tjahaja Purnama, plus connu sous le nom de «Ahok». La précédente session, le 17 janvier dernier dans l’enceinte du ministère de l’Agriculture qui sert de salle de tribunal improvisée, avait tourné court, l’accusation n’ayant pas pu présenter devant les juges une partie des témoins à charge prévus par l’ordre du jour de l’audience. Lors de la session qui s’était tenue le 3 janvier, le gouverneur n’avait pas hésité à se montrer offensif, dénonçant haut et fort «la prétention du FPI [le Front des défenseurs de l’islam, qui a porté plainte contre lui pour blasphème] à parler au nom de tous les musulmans». «Nombreux sont les musulmans qui n’aiment pas le FPI», avait alors affirmé Ahok.
Un gouverneur prêt à se défendre
La défense, offensive, adoptée par le gouverneur lors de ces dernières sessions devant ses juges contraste avec son attitude lors de l’ouverture du procès. Le 13 décembre, les Indonésiens avaient découvert sur leurs écrans de télévision un homme en pleurs, assis seul devant ses juges, se défendant d’une voix saccadée contre ses accusateurs. Basuki Tjahaja Purnama avait toutefois nié avec force avoir jamais blasphémé contre l’islam. Le gouverneur de Djakarta se trouvait alors devant un tribunal du fait d’une plainte pour blasphème déposée contre lui par le FPI, lequel arguait que lors d’un discours tenu en septembre 2016, dans le cadre de la campagne pour les élections du 15 février 2017, Ahok avait cité de manière blasphématoire une sourate du Coran afin d’inciter l’électorat musulman à voter pour lui, un non-musulman.
Depuis cette date, face à la mobilisation du FPI et de ses partisans, qui sont descendus à trois reprises dans les rues de la capitale, en octobre, novembre et décembre derniers, pour manifester contre le gouverneur, la tension reste forte dans le pays. Les enquêtes d’opinion indiquent que le gouverneur, candidat à sa propre succession, qui possédait une très forte avance dans les sondages, a vu cette dernière fondre comme neige au soleil. Selon une étude de Populi Center, Ahok et son colistier seraient toujours en tête, avec 34,2% d’intentions de vote, mais ils sont suivis de près par Agus Harimurti Yudhoyono et sa colistière Sylviana Murni avec 32,3% d’intentions de vote (le troisième candidat, formé par le ticket Anies Baswedan et Sandiaga Uno, se situe plus loin derrière, avec 25% d’intentions de vote).
Pour Usep S. Ahyar, directeur de Populi Center, la faible avance dont dispose Ahok dans les sondages ne signifie pas que le gouverneur ait course perdue. «A mesure que le procès se poursuit, les gens comprennent mieux ce qui est en jeu et ce qui lui est reproché – et cela peut lui être bénéfique. Les gens, par exemple, peuvent se rendre compte que les témoins cités contre Ahok sont moins compétents et crédibles que ceux qui sont cités par la défense», analyse le politologue. Le gouverneur a su, de plus, utiliser les conférences de presse tenues à l’issue de chacune des sessions du procès pour en faire autant de caisses de résonnance de sa campagne, poursuit encore Usep S. Ahyar.
Le leader du FPI sous le coup d’une plainte pour «blasphème»
De leur côté, les associations chrétiennes, dans un pays où la minorité chrétienne représente 10 % de la population, ne sont pas restées inactives. Tout en refusant de «confessionnaliser» le procès intenté à Ahok, elles ont su allumer des contre-feux. Ainsi, le 25 décembre, Muhammad Rizieq Shihab, le leader du FPI, a prononcé un discours où il s’est ouvertement moqué de la foi chrétienne et du dogme de l’incarnation en faisant mine de s’interroger ainsi : «Si Dieu a donné naissance, qui donc a bien pu être la sage-femme présente sur les lieux ? ». Enregistrée sur vidéo, la scène, qui entraîne les rires de l’assistance musulmane réunie autour du chef du FPI, a immédiatement fait le tour des réseaux sociaux. Dès le lendemain, 26 décembre, l’Association des étudiants catholiques d’Indonésie a porté plainte contre Shihab, une plainte pour « insulte à la religion chrétienne » rapidement soutenue par 150 avocats ainsi que plusieurs personnalités musulmanes.
Signe de la gêne causée par cette plainte, Muhammad Rizieq Shihab a approché ces jours derniers les auteurs de la plainte pour négocier avec eux son retrait. Démarche rejetée par Angelo Wake Kako, président du syndicat étudiant catholique, qui a déclaré le 19 janvier : «La plainte pour blasphème suit son cours conformément à la loi. Nous devons la respecter et nous continuerons ainsi.» L’un des avocats des milieux chrétiens a précisé que le leader du FPI pouvait «s’excuser publiquement s’il le souhaitait ; nous lui pardonnerons mais cela n’arrêtera pas la procédure judiciaire», les étudiants catholiques souhaitant adresser par là «un message fort contre les discours de haine qui menacent l’unité de la nation».
Le 18 janvier, le président de la République, Joko Widodo, recevait les pasteurs Henrietta Lebang, Gomar Gultom et Albertus Patty, responsables du PGI (Synode des Eglises protestantes). Ces derniers lui ont fait part de leur inquiétude du fait du climat créé par le procès instruit contre Ahok mais aussi du récent transfert d’un responsable de district à Bantul, au sud de Yogyakarta, au motif que celui-ci était de religion catholique et que le district était très majoritairement peuplé de musulman, ou bien encore de la manifestation menée par des Dayaks à Kalimantan-Ouest (Bornéo) pour empêcher un haut responsable du MUI (Conseil des oulémas d’Indonésie) de descendre de son avion.
Selon les responsables protestants, le président Widodo a noté que l’idéologie radicale professée par des groupes tels que le FPI « était favorisée certaines formations politiques » qui voient un avantage électoral à jouer la carte du fondamentalisme. « Les organisations de masse qui promeuvent l’intolérance dans notre société seront poursuivies selon la loi », a assuré le président, rapportent les dirigeants du PGI. Personne ne doit penser que l’Etat reste « silencieux, ou pire intimidé » par les éléments « qui sèment la division et fomentent la violence », a ajouté le chef de l’Etat.
Les élections du 15 février prochain verront des dizaines de millions d’Indonésiens se rendre aux urnes, pour élire les dirigeants locaux dans plus d’une centaine de régions, districts et territoires de l’archipel. Quant au procès du gouverneur sortant de Djakarta, le jugement pourrait ne pas être prononcé avant plusieurs semaines ; Ahok encourt jusqu’à cinq ans d’emprisonnement.
Source : Eglises d’Asie