Dès 2025, l’Union indienne pourrait devenir la première puissance démographique mondiale, alors même qu’elle tente, depuis les années 1950, de ralentir sa croissance démographique. Dans l’Assam, Etat du Nord-Est du pays, les autorités locales ont pour ambition d’adopter une politique démographique spécifique. Selon le projet initial, les emplois gouvernementaux, certaines aides sociales publiques et la possibilité de se présenter aux élections locales seraient réservés aux seuls membres des foyers qui n’ont pas plus de deux enfants.
Dans une interview en date du 9 avril dernier accordée à Northeast Today, le ministre de la Santé et de l’Education de l’Assam, Himanta Biswa Sarma, précise que « quand cette politique sera mise en œuvre, les membres de l’administration ne devront pas essayer d’avoir un troisième enfant. Si l’un d’entre eux a un troisième enfant, alors il perdra son emploi ».
Selon le projet de politique démographique, publié sur le site Internet du gouvernement de l’Assam, cette mesure vise à éviter « des tensions sociales et l’instabilité politique » et à assurer « à chaque famille d’Assam un accès effectif à une éducation de qualité, à des soins de santé et à des opportunités professionnelles ». Elle se justifie par les carences de la politique démographique lancée en 2000 au plan national et par les spécificités de cette région.
L’échec de la politique démographique indienne …
Dès 1952, les autorités indiennes lançaient un programme de planning familial au plan national. Après les campagnes de stérilisation forcée des années 1970 qui ont profondément marqué la société indienne, une politique démographique nationale a été mise en place en 2000 afin de tenter de stabiliser la population d’ici 2045.
Selon le gouvernement de l’Assam, la politique démographique nationale n’a pas atteint ses objectifs. Le taux de fécondité est passé de 3,2 enfants par femme en âge de procréer en 2000 à 2,3 en 2013, alors que l’objectif fixé était 2,1 enfants par femme dès 2010 (chiffre qui correspond au seuil de renouvellement des générations).
… et les spécificités de l’Etat d’Assam
En outre, le texte du gouvernement local précise que la situation particulière de l’Assam nécessite une politique spécifique. Cet Etat, constitué d’« un canevas démographique extrêmement varié avec des gens d’origines linguistiques, ethniques et religieuses variées », est « confronté à un défi démographique sans précédent ». Le ministre de la Santé, Himanta Biswa, l’a assuré dans sa conférence de presse : « L’Assam est confronté à une dangereuse explosion démographique. »
Pourtant, le recensement effectué en 2011 indique que le taux de fécondité (2,3 enfants par femme en âge de procréer) et l’augmentation de la population (une augmentation de 17 % entre 2001 et 2011) sont assez similaires en Assam aux chiffres nationaux.
Une promesse du BJP
Le BJP (Bharatiya Janata Party – Parti du peuple indien) a pour ambition de parvenir à stabiliser la croissance démographique : c’est là une des promesses électorales qui figurent dans son programme. Lors des dernières élections législatives régionales en Assam, organisées en mai 2016, le BJP a remporté le scrutin pour la première fois de son histoire dans cet Etat du Nord-Est. Cette victoire surprise s’explique notamment par le jeu des alliances avec des formations régionales et des défections au sein des partis concurrents. Ainsi, l’actuel ministre-président de l’Etat, Sarbananda Sonowal est une figure locale, ancien membre de l’AGP (Asom Gana Parishad – Association des peuples de l’Assam), qui a rejoint le BJP depuis 2011. Cette victoire s’explique surtout par la promesse de lutter contre l’immigration illégale de populations musulmanes en provenance du Bangladesh, pays avec lequel l’Assam a des frontières communes. Une promesse qui a rencontré un vif succès auprès des populations locales, y compris de confession musulmane : dans cette région, les conflits entre communautés sont fréquents et souvent violents, dans un contexte où les questions foncières et d’immigration sont centrales.
Une mesure discriminatoire ?
S’il y parvenait, l’Assam ne serait pas le premier Etat de l’Union indienne à imposer une telle politique démographique ; dans un article en date du 7 septembre 2014, The Hindu indiquait que des lois similaires avaient déjà été adoptées, dès la fin des années 1990, dans onze autre Etats. Dans certains de ces Etats, des sanctions supplémentaires sont encourues : privation de droits civiques pour l’enfant à naître, refus d’attribuer des aides sociales à la mère, sanction pénale pour le père, sous forme d’amende ou de peine de prison… et ces mesures ont été déclarées conformes à la Constitution par la Cour suprême de l’Union indienne.
Pour autant, ces politiques démographiques ont été annulées dans plusieurs Etats et ne seraient plus appliquées que dans sept d’entre eux : l’Andhra Pradesh, l’Odisha (Orissa), le Maharashtra, le Rajasthan, le Bihar, le Gujarat et l’Uttarakhand. Peuplé de nombreuses ethnies (on en dénombre plus d’une cinquantaine) aux traditions religieuses et cultures très diverses, l’Assam se distingue de ces Etats essentiellement par la surreprésentation de ses minorités musulmane et chrétienne. En effet, les musulmans sont particulièrement nombreux dans cet Etat (34 % de la population en Assam, contre 14,2 % au niveau national). A moindre échelle, il en est de même pour les chrétiens (4 % de la population en Assam, et 2,3 % au niveau national).
Une mesure contestée
Si cette mesure est censée s’appliquer à tous, elle est principalement destinée aux minorités de confessions musulmane, issues du Bangladesh, souligne Wasbir Hussain, journaliste à The Sentinel. Une analyse partagée par les leaders des communautés chrétiennes de l’Assam : contactés par l’agence Ucanews, ils considèrent que le gouvernement a pour projet de harceler les minorités religieuses. « Nous ne nous réjouissons pas de ce projet, dans la mesure où bon nombre de nos fidèles sont issus d’ethnies et ont plus de deux enfants », déclare Mgr John Moolachira, archevêque de Guwahati. Dans le pays, certains diocèses mènent des campagnes de sensibilisation pour l’accueil et le respect de la vie.
Certains responsables politiques ont aussi manifesté leur opposition à ce projet. Pour Gourav Gogoi, cette politique ne devrait pas être décidée au niveau d’un seul Etat, car elle relève de l’autorité de l’Etat central. Pour Maulana Badruddin Ajmal, de l’AIUDF (Sarva Bharatiya Sanyukt Ganatantric Morcha – le Front démocratique uni), ce projet constitue « une violation des droits fondamentaux [qui] affectera un grand nombre de musulmans, les minorités et les pauvres ».
Source : Eglises d’Asie