Le 17 novembre dernier, des centaines de manifestants issus d’une cinquantaine d’associations éducatives, de groupes politiques et religieux ont marché dans les rues de New Delhi jusqu’au Parlement, pour protester contre le nouveau projet de politique éducative lancé par le gouvernement fédéral : le National Education Policy 2016. Parmi ces manifestants, de nombreux chrétiens étaient venus défendre les valeurs d’égalité, de laïcité et la liberté d’enseigner.
Mgr Theodore Mascarenhas, secrétaire général de la Conférence des évêques catholiques d’Inde (CBCI) a déclaré :
« L’éducation est un secteur fondamental de la construction de la nation. Après l’Etat, l’Eglise catholique est le deuxième acteur du pays, avec plus de 25 000 institutions éducatives. Bien que nous soyons un acteur majeur, nous n’avons pas été convoqués par le ministère de l’Education, contrairement à d’autres instances éducatives ayant une certaine orientation idéologique. »
Selon lui, ce projet risque d’aboutir à une centralisation excessive de l’éducation, laissant peu de marge de manœuvre aux éducateurs.
Le National Education Policy sert généralement de cadre en matière de politique éducative pour les Etats de l’Union indienne. Emanation du gouvernement fédéral, les Etats n’ont pas obligation de mettre en œuvre cette politique, mais ils sont encouragés à suivre ses recommandations et orientations.
De nouvelles matières issues de l’hindouisme
« Le gouvernement essaie d’imposer à tout le pays une politique éducative qui va à l’encontre des intérêts des Indiens. Ce projet, s’il aboutit, va sérieusement perturber les fondements laïques et pacifiques du pays »,
a déclaré pour sa part Mgr Anil Couto, archevêque catholique de Delhi. La réforme envisagée prévoit notamment d’inclure de nouvelles matières au programme scolaire, toutes issues de l’hindouisme, comme les mathématiques védiques, le yoga et la mise en valeur d’un système d’apprentissage ancien de connaissances hindoues.
Selon le père Joseph Manipadam, secrétaire du Bureau pour l’Education de la CBCI, « les familles les plus pauvres ne pourront pas assumer le coût de scolarisation supplémentaire de cette politique de privatisation ».
Une sectorisation des élèves en fonction des résultats scolaires
De plus, toujours selon le père Manipadaman, le fait que les élèves soient placés dans les écoles en fonction de leurs résultats scolaires, contribue à encourager un système élitiste, au détriment d’une politique éducative qui essayait jusqu’ici de jouer un rôle d’ascenseur social pour les élèves issus des basses castes, grâce au système des quotas qui leur permettaient d’intégrer de bonnes écoles. « Cela encourage indirectement le système ségrégatif des castes puisque les élèves les plus brillants seront orientés vers des études scientifiques dans les établissements les mieux cotés, tandis que les élèves les plus faibles se retrouveront dans les filières secondaires des établissements les moins bons, ce qui aboutira naturellement à ce que les étudiants des basses castes reprennent le même métier que leurs parents », a-t-il précisé.
Dans un communiqué du mois de juillet 2016, la CBCI avait déjà publié des recommandations concernant le National Education Policy 2016, qui dénonçaient à la fois le contenu de la loi et le manque de concertation de la part du gouvernement fédéral. Si les évêques catholiques avaient salué l’initiative du gouvernement fédéral de vouloir réorganiser le système éducatif indien en développant l’éducation dans les zones rurales, ils s’étaient néanmoins inquiétés du contenu de ce projet qui, selon eux, « compromet le pluralisme, les droits constitutionnels des minorités et la protection des plus faibles, les aborigènes et les dalits ».
Une tentative d’hégémonie hindoue ?
Pour certains opposants politiques, ce projet de réforme de la politique éducative est perçu comme une nouvelle tentative du BJP, le parti nationaliste hindou au pouvoir depuis 2014, de favoriser l’hégémonie hindoue, cette fois-ci au sein de l’éducation nationale. « Ces branches nationalistes hindous veulent imposer leur volonté et leur idéologie en modifiant la politique éducative, a déclaré Digvijay Singh, membre du Parti du Congrès, actuellement dans l’opposition. Nous voulons que le gouvernement retire son projet de politique éducative nationale. Il devrait y avoir un dialogue ouvert avec les partenaires concernés, avant d’envisager tout changement. »
Cet été, le gouvernement avait déjà crispé les sensibilités religieuses et politiques avec l’avancée du projet d’adoption d’un Code civil unique, baptisé « Uniform Civil Code » (UCC), qui visait à instaurer un code homogène pour remplacer les divers droits des familles, différents selon l’appartenance religieuse des Indiens. Certains observateurs y voyaient là aussi un moyen d’assimiler les minorités, notamment les musulmans, à un projet d’hindouisation de la société, en généralisant à l’ensemble de la population indienne le Code civil hindou.
Source : Eglises d’Asie