De Cyrille Dounot, agrégé des facultés de droit, professeur d’histoire du Droit à l’Université d’Auvergne, dans l’excellente revue Catholica :
« Si l’Évangile interdit aux États d’appliquer jamais la peine de mort, saint Paul lui-même alors a trahi l’Évangile » Cardinal Journet[1]
Le 11 mai 2018, lors d’une audience concédée au préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le pape a approuvé une nouvelle version du § 2267 du Catéchisme de l’Église catholique (CEC) indiquant notamment : « L’Église enseigne, à la lumière de l’Évangile, que la peine de mort est inadmissible. » Cette modification doctrinale est actée par un simple rescrit, réponse écrite d’ordre administratif, donné lors d’une audience ordinaire, ex Audentia Sanctissimi.
Daté du 1er août 2018, il indique seulement que le nouveau texte sera promulgué « par impression dans L’Osservatore Romano, entrant en vigueur le même jour, et ensuite sera publié dans les Acta Apostolicæ Sedis ». Il s’agit d’un texte juridique de faible envergure, employé ordinairement pour des questions règlementaires, et non doctrinales. De surcroît, l’approbation pontificale de ce nouveau paragraphe n’a pas été faite en « forme spécifique », qui abrogerait toute disposition antérieure traitant du même sujet. Le texte latin porte que le pape en a simplement « approuvé la formulation ». Il s’agit d’une approbation en « forme générique », permettant de soutenir que les dispositions antérieures contraires peuvent être tenues pour toujours valables. Enfin, ce texte de forme juridique mineure cache mal un mépris des formes et des institutions, en établissant que son entrée en vigueur dépend d’une publication dans la presse officieuse du Saint-Siège (dérogeant au principe établi par le can. 8, §1), laissant dédaigneusement au journal officiel du Vatican le soin d’en assurer une copie.
En cela, cette modification du CEC s’éloigne grandement du formalisme respecté tant pour l’adoption du texte originel, par la constitution apostolique Fidei depositum, le 11 octobre 1992, que pour sa révision en 1997, par la lettre apostolique Laetamur magnopere, aboutissant à l’édition typique en latin, texte faisant foi et non modifié depuis. Le changement opéré n’obéit aucunement à une procédure semblable, et ne respecte aucun parallélisme des formes. Il provient initialement non d’un concile œcuménique, soutenu par un synode des évêques épaulé par une commission de spécialistes, mais d’une idée particulière au pontife régnant, exprimée dès le début de son pontificat dans des textes dépourvus de forte autorité magistérielle. Il s’agit d’une Lettre aux participants au XIXe Congrès de l’Association internationale de droit pénal et du IIIe Congrès de l’Association latino-américaine de droit pénal et de criminologie, le 30 mai 2014, d’un Discours à une délégation de l’Association Internationale de Droit Pénal, le 23 octobre 2014, ou encore d’une Lettre au président de la Commission internationale contre la peine de mort, le 20 mars 2015.
La formulation nouvelle du paragraphe en question s’en ressent, puisque l’unique autorité doctrinale citée à l’appui du propos est un autre texte du même pontife, un Discours aux participants à la rencontre organisée par le Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation, daté du 11 octobre 2017.
Cette approche externe ne doit pas occulter le point le plus délicat, et le plus douloureux de cette expression de la volonté pontificale, à savoir la solution de continuité doctrinale. Quelle que soit la manière d’aborder la question, le catholique est placé devant un mystère, sinon d’iniquité, du moins de l’entendement. Jusqu’au pape actuel, le catéchisme exposait que « l’enseignement traditionnel de l’Église n’exclut pas, quand l’identité et la responsabilité du coupable sont pleinement vérifiées, le recours à la peine de mort » (CEC, § 2267) ; désormais, le pape affirme que ce recours est inadmissible, « à la lumière de l’Évangile ». Les positions semblent inconciliables, et nous laissons le dénouement de ce problème aux théologiens et aux pasteurs. Contentons-nous d’évoquer d’abord l’enseignement pérenne de l’Église sur la question de la peine de mort, et ensuite d’évaluer les raisons apportées à un tel revirement.