Alors que le pape François vient d’ouvrir un nouveau point d’attention sur la question des réfugiés, en invitant à la prudence les pays d’accueil, que penser de l’opposition immigration/identité ?
(republication estivale d’un article du 2 novembre 2016)
Comme bien des sujets d’actualité, la question de l’immigration est particulièrement sensible, dans la mesure où elle est biaisée et politiquement récupérée. Il devient délicat de parler de l’immigration sans risquer le catalogage primaire dont usent abondamment certains milieux politiques ou démagogiques. L’immigration en devient, du reste, un sujet quasiment tabou de la pensée unique ambiante. Il y aurait, à ce sujet, une belle étude à faire sur cette pensée unique ! Mais restons sur notre propos suffisamment complexe en lui-même.
L’immigration est la proie des amalgames, des idées reçues et des raccourcis démagogiques. La droite classique (Nicolas Sarkosy excepté) n’ose pas aborder le sujet par peur d’être récupérée ou de perdre des électeurs, tandis que la gauche dans son ensemble en fait une affaire de dignité, de cœur et d’affectivité, face à une extrême droite exaspérée qui en nourrit le cœur de son programme. Il est dès lors difficile de demeurer objectif au milieu de telles passions. Mais à cristalliser le débat sur le thème racial et humain, nous l’avons ni plus ni moins stérilisé. L’immigration n’est pas d’abord une histoire de race, ou de droits de l’homme. Elle est d’abord une histoire d’homme au singulier. Celui qui immigre est d’abord quelqu’un qui émigre. Il s’agit d’une personne humaine égale en droit et en dignité à toute autre personne. Comme toute personne humaine, l’immigré à une histoire personnelle qui le constitue, des droits et des devoirs. C’est une personne qui quitte un groupe pour une raison ou pour une autre et qui vient s’insérer dans un autre groupe qui lui préexiste. Ce groupe lui apportera ce qui le constitue et lui, offrira ce qu’il est au groupe. Ce qui de soi est très fructueux et source de progrès et de richesse. Mais il est évident que celui qui est nouveau venu s’insère dans ce qui lui préexiste.
Il appartient, en revanche au groupe qui l’accueil de lui faciliter cette insertion. L’étranger qui ne s’insère pas et ne respecte pas les lois du pays ne doit pas être traité différemment de toute personne native du pays enfreignant les lois. Il ne faut pas cependant tomber dans les travers naïfs et candides d’une telle pensée. L’immigré qui arrive, sans renier ce qu’il est et sa fierté nationale propre, doit s’engager à respecter l’identité propre du pays qui l’accueil et doit même l’aimer. Il est un fait qu’un immigré qui ne se sent pas bien dans le pays d’accueil doit prendre acte de son malaise et peut être en changer. Il est un fait aussi que le pays doit s’attacher à faciliter une intégration plus ou moins facile. La différence de culture et d’histoire peut être plus ou moins forte bien sûr. Et il n’entre pas dans le devoir d’accueil de se renier soi-même pour mieux accueillir.
La difficulté actuelle de l’immigration, est double. Tout d’abord, un pays comme la France n’a plus forcément les moyens de bien accueillir. La question légitime se pose alors de savoir s’il y a ou non une limite à l’accueil. La réponse est assez évidente. La solidarité ne suppose pas de se mettre soi-même en péril. Que signifie alors se mettre en péril ? Peut être que la question mérite ici d’être posée de façon plus fine. Il peut paraître injurieux de considérer qu’un pays comme la France ne peut accueillir sans se mettre en péril alors que d’autre ne parviennent pas à émerger jusqu’à la simple dignité de vie. La pauvreté est relative. L’étude récente menée par l’Union Européenne sur le seuil de pauvreté en Europe le montre bien. Un pauvre de France n’est pas le même pauvre qu’en Roumanie. Dès lors le seuil de péril pour une nation n’est pas non plus le même. Et, il est contraire au bien commun de l’humanité de faire régresser une partie du monde, même pour en faire avancer d’autres. Car il n’est pas conforme à la dignité de la personne humaine de lui demander de donner en dessous de ce qu’elle est capable de produire dans le respect de sa dignité propre. Ce n’est pas en partageant plus le gâteau qu’il y aura à manger pour tout le monde, mais bien en augmentant la taille du gâteau. En revanche, cette croissance ne doit pas se faire sans l’ensemble des populations du monde. Pour en revenir à l’immigration, il n’est pas concevable et de toute façon utopiste, de demander à un pays entier de sacrifier sa croissance et son équilibre, au profit d’autres personnes ou pays. L’immigration doit nourrir la richesse propre du pays et apporter à l’immigré le nécessaire à son épanouissement et à sa dignité. Il faut tenir les deux, sinon le déséquilibre devient néfaste.
De même il faut avoir conscience qu’un immigré prive de ses compétences son propre pays. Nous nous plaignons suffisamment, en France de la fuite des cerveaux pour comprendre ce que cela signifie pour d’autres pays plus défavorisés. L’immigration est une composante importante du développement durable. Il convient donc de bien cerner pourquoi certains quittent leur pays. Le manque de travail, de richesse, la sclérose des systèmes ou des débouchés professionnels en termes de carrière, le non respect de la dignité humaine en sont quelques traits saillants. Les pays d’accueil ne peuvent pas servir de refuge au monde entier. Leur tâche, au contraire est de favoriser le développement des pays en difficultés et leur démocratisation, de façon à limiter l’immigration politique. Là, il faut que les occidentaux se mettent d’accord avec eux-mêmes. Une délocalisation en France c’est autant d’immigrés potentiels en moins.
La question de l’immigration est bien plus profonde que ce que pourra en traiter une loi de contrôle de l’immigration. Ces lois cherchent à gérer les problèmes que pose l’arrivée massive d’immigrés que la France ne peut plus accueillir. C’est le rôle de telles lois et leurs prérogatives ne leur permettent pas de faire autre chose. Mais c’est bel et bien en amont que la question que l’immigration se traitera. Le combat pour le respect des droits de l’homme, du travailleur, de l’enfant, ainsi que la lourde et lente politique du développement durable sont des outils bien plus efficaces à long terme.
Il n’empêche qu’il faut vivre le court terme et le gérer et il ne faut pas nier qu’une certaine immigration fait peur. Encore faut-il avoir le courage de l’affronter dans sa réalité et cesser de rejeter la faute sur l’autre ! Il y a un problème d’intégration d’une certaine catégorie de la population immigrée. C’est un fait. Ce fait exaspère l’ensemble de la population française (par rejet ou par opposition à ceux qui rejettent). Soit ! Mais qu’allons-nous faire ? Entrer en guerre civile les uns contre les autres ? Jeter tout le monde dehors ?
Le problème fondamental de toute intégration qu’elle soit nationale ou plus intime dans le groupe professionnel ou familial, n’est pas d’abord du côté de celui qui arrive, mais de celui qui accueille. Bien sûr les « cas » existent. Mais quand l’ensemble ou la majorité de ceux qui arrivent posent problème, n’y a-t-il pas une cause à chercher en face ? Avons-nous été clairs sur ce que nous sommes ? En un mot, le fond du problème de l’intégration ne serait-il pas, aussi, à chercher dans la perte de notre identité ? Imaginez-vous arriver dans une nouvelle famille. Vous avez perdu la votre et par ce fait vous êtes déjà fragilisés. Mais cette famille d’accueil ne vous donne aucune règle de conduite, vous n’en connaissez pas les normes et les valeurs, d’autant que vous vous rendez compte qu’elles sont floues. Comment allez-vous faire pour vous insérer, vous construire, être en paix ? Voilà, à mon sens, un des problèmes de fond de l’immigration dite maghrébine. Nous ne savons pas qui nous sommes vraiment, car notre société se cherche et se construit après s’être déconstruite, alors qu’en face de nous nous avons un peuple fier de ses racines et avec un sens communautaire et identitaire fort. C’est nous qui sommes faibles face à eux ! Mais faibles chez nous, d’où un problème de fond difficilement soluble.
La première des questions à se poser face au problème de l’immigration, est paradoxalement un problème d’identité nationale. Il est impossible d’aller vers l’autre tant que l’on n’est pas sûr de soi.
Alors sortons de cette crise de conscience, en affrontant avec vérité le problème de l’immigration. Oui, c’est un devoir d’accueillir l’étranger et le racisme est inacceptable. Oui, nous devons d’abord penser à nous pour mieux penser aux autres. Oui, travailler à ce que les étrangers se sentent mieux chez nous est parfaitement compatible avec le fait de tout faire pour qu’ils n’aient pas à quitter leur pays. Oui, je dois préserver mon environnement et ma sécurité, mais en tirant l’ensemble du monde vers le haut et non au détriment de quelques plus pauvres. En aucun cas non plus cette option ne doit conduire à la paupérisation des plus riches. Le vrai combat, long, lourd et lent est de hisser tout le monde vers le haut. Ce qui ne veut pas dire, pour les plus riches de ne pas renoncer au superflu. L’immigration doit prendre en compte l’ensemble de ces données. La France est un pays d’accueil, mais elle ne peut accueillir indéfiniment. Il convient donc de réguler cet accueil de façon à ne pas compromettre l’intégration, ni la sécurité et le bien être vital de la population nationale.
Il y aurait encore bien à dire sur ce vaste sujet et j’ai bien conscience que ces quelques lignes ne répondent pas à la polémique actuelle, mais tel n’était pas mon ambition. Je pense qu’avant d’y répondre, il faut avoir à l’esprit les fondements de la réflexion. Sur un sujet aussi polémique et affectif, il me paraissait important de dépassionner le débat pour réellement l’ouvrir.
Source Cyrano.net