Elle prendra ses fonctions le 1er juillet prochain, vingt ans jour pour jour après la rétrocession de Hongkong à la Chine. Elue ce 26 mars, Carrie Lam a vu son élection saluée par l’évêque catholique de Hongkong, le cardinal John Tong Hon. Dans une lettre datée du 28 mars, celui-ci lui a cependant dit ouvertement tout ce qu’il attendait de la nouvelle dirigeante.
Les félicitations d’usage sont bien là, le cardinal commence sa lettre à Carrie Lam par appeler sur elle « la paix et la joie du Seigneur » et lui faire part de ses « félicitations les plus sincères » pour son élection. Mais, passé ce paragraphe, l’évêque de Hongkong n’accorde à la nouvelle élue aucun état de grâce qui verrait l’Eglise locale attendre les premiers mois de pouvoir de la nouvelle dirigeante avant de se prononcer sur son action. A l’égard de l’ancienne secrétaire en chef de l’Administration hongkongaise, Mgr Tong lui exprime « les attentes » du diocèse de Hongkong quant à l’action à venir de la nouvelle Administration. Des attentes méthodiquement exprimées en quatre points.
Appel à « promouvoir le processus démocratique »
A la haute fonctionnaire de carrière qui a été désignée dimanche dernier chef de l’exécutif par 777 voix d’un collège électoral de 1 194 personnes, pour une ville qui compte 7,2 millions d’habitants, Mgr Tong rappelle que l’Eglise catholique « attache une grande importance à la signification des élections démocratiques dans le champ du politique ». Avec un art consommé de la litote, il poursuit en « observant que la base électorale utilisée pour la désignation du chef de l’exécutif est loin d’approcher une participation universelle [des citoyens] ». Il conclut en espérant que, dans le cours de son mandat de cinq ans, Carrie Lam pourra « promouvoir le processus démocratique » afin que les Hongkongais connaissent enfin le suffrage universel, une promesse inscrite dans la Loi fondamentale qui régit les institutions de Hongkong.
Le cardinal Tong continue en exprimant l’attachement constant du diocèse à servir les plus petits et les exclus au nom de « l’option préférentielle pour les pauvres » professée par l’Eglise. Jusqu’à ce jour, le diocèse a entretenu « une collaboration fructueuse et positive » avec le gouvernement local « pour le bien-être des Hongkongais ». Dans une société sous-tension du fait notamment d’un coût exorbitant du logement et d’une montée des inégalités de fortune, l’évêque promet que le diocèse ne se privera pas de critiquer, si besoin est, certaines politiques sociales et continuera à se comporter « en ami qui donne une juste exhortation » aux autorités en place.
Dans cette attention aux besoins de la société, l’évêque explique ensuite que le diocèse a toujours veillé à « être en communication » avec tous les secteurs de la société, y compris avec le gouvernement. Il formule « l’espoir » de continuer à développer « un dialogue efficace » avec la nouvelle Administration. Face à une société écartelée entre le contrôle politique de plus en plus étroit exercé par Pékin et le désir de démocratie et de libertés civiles d’une jeunesse largement hostile au régime chinois, l’évêque de Hongkong formule le souhait que la chef de l’exécutif « encourage une expression franche de vues » et « écoute toutes les voix ».
Protéger la liberté religieuse des Hongkongais
En quatrième et dernier point, le cardinal Tong dit son désir de voir le gouvernement local continuer, « comme cela a été le cas par le passé », de protéger la liberté religieuse des Hongkongais, leur liberté d’expression ainsi que le pluralisme dans la gestion des écoles. Si ce dernier point renvoie au bras de fer – perdu par le diocèse – relatif au mode de gestion des établissements privés sous contrat avec l’Etat, les deux autres points sont sensibles.
Certes, la liberté religieuse paraît être pleinement respectée aujourd’hui à Hongkong, mais la récente évocation d’une « Unité des Affaires religieuses » montre que rien n’est acquis en ce domaine. On se souvient qu’au début de ce mois, l’Eglise locale avait signifié sa ferme et résolue opposition à la proposition qui était inscrite dans le programme de Carrie Lam, à savoir instituer au sein du gouvernement de Hongkong une « Unité des Affaires religieuses », semblable au « Bureau des Affaires religieuses » en place à Pékin. Même si Carrie Lam avait promptement retiré cette proposition de sa plateforme électorale, l’Eglise y avait vu une tentative d’instaurer à Hongkong une gestion « à la chinoise » des affaires religieuses, perspective contre laquelle le diocèse avait immédiatement réagi.
Concernant la liberté d’expression, l’inquiétude est diffuse parmi la population de Hongkong, notamment depuis l’affaire des libraires-éditeurs hongkongais enlevés par la police chinoise. Enfin, Mgr Tong conclut par une dernière mise en garde à peine voilée : il demande au gouvernement de « respecter les valeurs de l’Eglise sur la famille et le mariage », manière de dire son opposition à toute tentative d’introduction du mariage homosexuel, comme on peut le voir actuellement à Taiwan.
Dans cette lettre d’à peine deux pages, l’évêque de Hongkong ne fait pas mention du fait que Carrie Lam est une catholique pratiquante. Certes, il appelle sur elle, sa famille, ses amis et ses collègues la bénédiction de Dieu, mais, à l’évidence, il s’adresse à elle au titre de ses responsabilités politiques, non au nom de son appartenance religieuse. De manière significative, le cardinal ne fait pas une seule fois mention dans sa lettre de la Chine ou de la formule « Un pays, deux systèmes », le compromis censé protéger l’autonomie de Hongkong par rapport à Pékin. Or, l’un des défis qui se posent à Carrie Lam est précisément de montrer aux Hongkongais qu’elle est capable de répondre aux attentes de la population (sur les plans de la justice sociale et de la démocratisation des institutions, notamment par l’élection du chef de l’exécutif au suffrage universel direct) tout en maintenant à distance raisonnable les velléités interventionnistes de Pékin dans les affaires hongkongaises.
A peine Carrie Lam élue, l’équipe encore actuellement aux commandes, dirigée par le très impopulaire CY Leung, lui a laissé un cadeau empoisonné. Lundi 27 mars, au lendemain de l’élection, la police a convoqué neuf des meneurs de « la révolte des parapluies » pour leur signifier leur inculpation dans leur rôle dans l’organisation d’Occupy Central with Love and Peace, ce sit-in de protestation citoyenne qui dura 79 jours à l’automne 2014. Inculpés pour « appel à la désobéissance civile », ils risquent jusqu’à sept ans de prison.
Source : Eglises d’Asie