Grégoire de Nazianze, le passeur de monde

Grégoire de Nazianze, le passeur de monde

Grégoire de Nazianze est probablement avec Augustin celui des Pères que nous connaissons le mieux « de l’intérieur ». Car, s’il ne nous a pas laissé à proprement parler de « Confessions » comme Augustin, l’homme et le spirituel sont bien là, tout entiers, dans sa correspondance, l’une des plus importantes que nous ait léguée l’Antiquité, tout comme dans ses poèmes autobiographiques ou moraux.

Derrière le verbe ciselé et l’expression hautement maîtrisée, nous rencontrons un homme profondément humain, laissant cours à l’expression de sentiments très personnels comme la déception ou la désillusion quant à la vérité de l’amitié, la profondeur du combat théologique ou même les ambitions de certains prélats qu’il n’hésite pas à traiter « d’épiciers de la foi » ou de « faussaires d’impôts »… Ne nous y trompons pas. Ce mal d’insatisfaction qui le fit par deux fois renoncer à un siège épiscopal (d’abord d’une toute petite bourgade de Cappadoce, Sasimes, où il n’est jamais allé, puis du prestigieux siège de Constantinople en 381) n’est que la trace en creux de quelque chose de bien plus fort, l’absolu de sa passion pour le Verbe divin.

Fils d’évêque, c’est au sein de sa famille qu’il s’ouvrira à cette vocation de chantre du Verbe Incréé en qui il contemple la récapitulation de toute l’œuvre divine, des anciens sages de l’Hellade aux prophètes d’Israël. Se sachant fils d’Athènes et de Jérusalem, Grégoire refuse de choisir l’une contre l’autre. Dans sa prière comme dans sa prédication, mais encore comme liturge, Grégoire ne cesse de rendre grâce pour la puissance du Logos qui vient féconder aussi cette culture grecque qui l’a élevé et n’a pas de mots assez durs pour stigmatiser un empereur comme Julien qui prétendait interdire aux chrétiens l’enseignement des Belles Lettres.

Prêtre du Logos, Grégoire se sentira parfois dépassé, incapable de guider ses frères dans la contemplation de ce Mystère si ancien et si nouveau même si sa prédication à la veille du concile de Constantinople en 381 s’avéra décisive pour le triomphe de l’orthodoxie et lui vaudra la fière épithète de « Grégoire le Théologien »… Ce sera alors le temps de la retraite et du silence mais pour une fécondité dont nous vivons encore, l’enfantement de la culture antique au Christ-Logos. C’est à la rencontre de cette prodigieuse et déconcertante personnalité que nous convie cette nouvelle Petite Journée de Patristique consacrée à Grégoire de Nazianze.

Pour esquisser le portrait de Grégoire de Nazianze et retracer sa vie, l’historien se voit confronté à bien des incertitudes, notamment en ce qui concerne les dates. Le lecteur de ses œuvres peut du moins retenir ce que Grégoire dit de lui -même. De fait, à travers ces éléments auto -biographiques, l’écrivain écrit ou réécrit sa vie comme une histoire sainte actualisée, n’hésitant pas à se reconnaître dans des figures comme Samuel, Jonas, Moïse ou Élie. À chaque fois, c’est une période de sa vie, un aspect de sa personnalité qui se révèle.

On peut s’étonner que, dans une région isolée et peu urbanisée de l’Anatolie intérieure, aient grandi et vécu trois des plus importants Pères de l’Église grecque. Le paradoxe semble d’autant plus fort que les riches et savantes régions occidentales du diocèse d’Asie ont peu contribué à l’élaboration d’une pensée religieuse à l’époque de Grégoire de Nazianze comme dans les décennies antérieures. Pourtant les trois Pères cappadociens ne sont pas les seuls à être originaires de l’Anatolie intérieure, d’autres protagonistes de l’histoire du christianisme, au IVe siècle, ont agi dans ce même contexte régional. C’est donc ce dernier qu’il faut examiner, notamment son intégration aux réseaux d’éducation déployés à l’échelle de l’Empire romain d’Orient, la précocité de sa christianisation portée par quelques figures fondatrices comme celle de Grégoire le Thaumaturge, ou encore ses liens avec le milieu impérial de la nouvelle capitale.

Sainte mais étrange famille que celle qui m’a été donnée.

Il n’est pas donné à tout le monde – même au IV e siècle – de naître d’un père évêque et d’être ensuite ordonné prêtre, puis évêque de façon autoritaire par le même père qui, par ailleurs, ne fut gagné que très tardivement à la foi chrétienne par sa jeune et très pieuse épouse. Comparant à plusieurs reprises sa propre mère à la matriarche Sarah, Grégoire se présente comme un nouvel Isaac projetant ainsi un soupçon sacrificiel sur la figure paternelle. Mais résistant à une analyse psychologisante aussi anachronique que fantasmatique, nous verrons combien la famille de Grégoire est révélatrice des mutations spirituelles et sociales qui marquèrent le siècle du Nazianzène.

Un pasteur toujours actuel pour la contemplation et l’action (Discours XIV sur les pauvres).

Qui ne connaît la parole du Christ (Mc 14, 7) : « Des pauvres, vous en aurez toujours parmi vous… » ? Toutefois on connaît moins la seconde partie du verset : « Et si vous voulez, vous pouvez leur faire du bien » ! Or, après et avant beaucoup d’autres, Grégoire de Nazianze est un de ceux qui ont particulièrement répondu à cette interpellation dans le contexte difficile de la fin du IVe siècle. On l’a pourtant jugé assez durement comme évêque dans sa gestion d’un diocèse et dans sa propension à fuir parfois les difficultés pour se réfugier dans sa chère contemplation ! Aussi, à partir de son beau Discours XIV, où il se révèle profondément – tant comme théologien et pasteur attentif que comme moraliste pertinent et percutant – je me demanderai s’il fut un pasteur plus contemplatif qu’actif, et comment il s’est montré un évêque plutôt équilibré selon les deux critères retenus, la contemplation et l’action.

Source – Présentation du colloque de Saintes qui aura lieu le 18 Mars 2017 et qu’InfoCatho vous fera suivre en direct, sur tweeter.

Notre photo, reliquaire de saint Grégoire de Nazianze à la basilique Saint-Pierre jusqu’à son retour à Constantinople par Jean-Paul II

 

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