Les relations complexes entre christianisme et capitalisme au fil de l’histoire ont été au cœur d’une conférence à l’ambassade de Belgique près le Saint-Siège.
« Foi chrétienne et capitalisme: une relation d’amour-haine » est le titre de l’allocution prononcée par Wim Decock – professeur d’histoire du droit auprès des universités de Louvain et de Liège – à l’ambassade de Belgique près le Saint-Siège, dans l’après-midi du 26 juin 2018. En introduisant la rencontre, l’ambassadeur John Cornet d’Elzius a souligné le caractère parfois sibyllin des enseignements bibliques quant à la création et à la gestion des richesses.
De l’épisode de l’homme riche auquel Jésus demande d’abandonner tous ses biens pour se mettre à sa suite (Mc 10, 17-31) à la parabole des talents qui commande aux fidèles de faire fructifier les biens terrestres qui leur sont confiés (Mt 25, 14-30), il n’est en effet pas toujours aisé de discerner les implications pratiques de telles injonctions. Une difficulté bien illustrée par l’ambiguïté du rapport que le christianisme a entretenu avec le capitalisme au fil des siècles.
En évoquant son expérience auprès de la World Trade Organization (WTO) John Cornet d’Elzius a fait remarquer que ses interlocuteurs des pays nordiques, à majorité protestante, étaient généralement plus favorables au libre-échange que ceux des pays latins, à majorité catholique, plus enclins au protectionnisme. Ce fait, répandu en Europe, est pourtant relativement récent, comme l’a rappelé Wim Decock dans son intervention. Jusqu’au XIX siècle en effet, les protestants n’étaient pas particulièrement favorables au libre-échange, et leur position n’évoluera qu’au moment de la révolution industrielle.
A rebours de Max Weber dans L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1905) Decock estime que l’idée selon laquelle le protestantisme serait à l’origine du capitalisme n’est que le fruit de l’imaginaire populaire. Et celui-ci de souligner que bien avant la naissance du protestantisme, des religieux franciscains et dominicains, puis jésuites, ont été les théoriciens du capitalisme moderne – dans l’acception classique du terme, qui désigne tous les éléments relatifs à l’accumulation de la richesse dans un contexte de libre-échange.
L’apport des jésuites
C’est en effet Pierre de Jean Olivi, théologien franciscain de Narbonne, qui rédigera au XIIIe siècle le Traité des contrats, lequel préfigure les principes de l’économie moderne, telle qu’elle émergera à la Renaissance. Aux XVIe XVIIe siècles, de très nombreux jésuites apporteront leur pierre à l’édifice. Parmi eux, le Belge Leonardus Lessius, dont les théories inspireront les travaux de l’économiste autrichien Joseph Schumpeter.
Néanmoins, les discussions entourant le capitalisme et la gestion des richesses n’ont jamais fait consensus au sein de l’Eglise, à commencer par la papauté elle-même. Si les encycliques Rerum novarum (1891) de Léon XIII, et Centesimus annus (1991) de Jean Paul II étaient par principe plutôt favorables à l’économie capitaliste, l’Evangelii gaudium (2013) du Pape François est par exemple nettement plus réservée sur la question. Des divergences qui, toujours selon Decock, s’expliquent en grande partie par les contextes historiques dans lesquels les différents pontifes se sont exprimés, de la révolution industrielle à la crise financière actuelle, en passant par la chute du mur de Berlin.
En reprenant à son compte l’enseignement jésuite selon lequel on ne peut émettre de jugement moral sans connaître les éléments en jeu, le professeur belge a conclu son intervention en appelant à « embrasser la complexité » de tels débats, ainsi qu’à rechercher l’équilibre dans toute délibération. Il s’est ainsi fait l’écho du Pape Benoît XVI qui a mis en garde contre tout jugement privé d’expertise, qui aboutit à « un moralisme simpliste ».
Solène Tadié, correspondante de CathoBel à Rome
Pour aller plus loin, Pierre de Lauzun, Christianisme et croissance économique