A Noël 380, l’évêque de Constantinople Grégoire de Nazianze, dans le discours Pour la Théophanie (disc. 38), prononcé dans la basilique des Saints-Apôtres, invite les chrétiens à fêter Noël dans la joie.
« Le Christ naît, rendez gloire ; le Christ vient des cieux, allez à sa rencontre ; le Christ est sur terre, élevez-vous. […] “Que se réjouissent les cieux et qu’exulte la terre” à cause de celui qui est “céleste” et ensuite “terrestre”. Le Christ est dans la chair : exultez ».
Il faut fêter Noël mais Grégoire invite les fidèles à la retenue, au calme et au recueillement : « Célébrons la fête, non comme une solennité profane mais d’une manière divine » car « c’est la solennité de la Théophanie ou encore de la Nativité […] Dieu en effet est apparu aux hommes en naissant […] Le nom de Théophanie vient du fait qu’il est apparu, le nom de Nativité, du fait qu’il est né ».
« La fête que nous célébrons aujourd’hui, c’est la venue de Dieu chez les hommes » dit-il encore, aussi convient-il ne pas la célébrer à la manière des fêtes païennes qui existent encore à cette date. Alors qu’une grande partie de la population chrétienne de Constantinople garde des habitudes païennes ou au moins profanes, il précise : « Gardons-nous d’orner de guirlandes les vestibules, de réunir des chœurs de danse, de décorer les rues, de régaler l’œil, de charmer l’oreille, d’offrir à l’odorat des parfums efféminés […] ; gardons-nous de nous amollir avec un vêtement délicat […], avec le brillant des pierres ou l’éclat de l’or ou encore avec ripailles et beuveries auxquelles sont liées luxure et débauches. […] Gardons-nous de dresser des lits de table élevés […], d’estimer le bouquet des vins, les apprêts des cuisiniers, le grand prix des parfums. […] Ne nous empressons pas à nous vaincre mutuellement en intempérance et cela quand d’autres ont faim et sont dans le dénuement. »
Grégoire oppose les festivités païennes en l’honneur de divinités qui sont en réalité des démons, au culte du vrai Dieu : « Cela laissons-le aux pompes et solennités helléniques (païennes). Les Grecs (les païens) nomment dieux des êtres qui prennent plaisir au fumet des graisses (= lors des sacrifices d’animaux suivis de repas), ils servent la divinité en cherchant à plaire au ventre, et ils se font ainsi de démons pervers, les pervers dévots […] Nous qui avons le Verbe pour objet d’adoration, si nous devons prendre quelques plaisirs, prenons-les dans la parole, dans la loi divine, dans les récits, surtout ceux qui concernent la solennité présente ; ainsi nos plaisirs seront en rapport avec elle. »
Et Grégoire de proposer le discours qu’il va prononcer comme source des plaisirs qui conviennent en la circonstance : « Voulez-vous – puisqu’aujourd’hui je suis celui qui vous reçois – que je serve aux convives de marque que vous êtes un discours sur ce sujet avec toute l’abondance et la somptuosité possibles ? […] Purifiez-vous, s’il vous plaît, l’esprit, l’ouïe et la pensée, vous tous qui recherchez les plaisirs de cet ordre ; puisqu’il s’agit de Dieu, le discours, lui aussi est divin ».
Après un long discours dont il soigne l’harmonie, l’ordre et la beauté avec un grand talent oratoire et où il expose la révélation chrétienne, Grégoire exalte la joie que doit manifester le fidèle en contemplant le mystère de l’incarnation du Verbe ; il dévoile le sens symbolique et spirituel de certains éléments indiquant comment ils participent de l’économie du salut : « Maintenant apprends, s’il te plaît , que le Christ est conçu, et bondis de joie […] ; révère le recensement, grâce auquel tu as été inscris dans les cieux ; célèbre la Nativité, grâce à laquelle tu as été délivré des liens de ta propre naissance (= du péché) ; honore Bethléem la petite qui t’a ramené au paradis ; adore la crèche, grâce à laquelle toi, qui es privé de raison (alogos), tu as été nourri par le Verbe (Logos), reconnais, comme le bœuf, ton possesseur – Isaïe t’y invite – et, comme l’âne, reconnais la crèche de ton maître, que tu sois parmi ceux qui sont purs, qui sont soumis à la Loi, qui ruminent la Parole et qui sont prêts pour le sacrifice, ou bien que tu sois parmi ceux qui sont impurs, qui ne sont admis ni au repas ni au sacrifice et qui sont du groupe des païens. Cours à la suite de l’étoile et avec les Mages apporte tes présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe comme à un roi, comme à un Dieu, comme à celui qui pour toi s’est fait cadavre. Rends gloire avec les bergers, chante l’hymne avec les Anges, danse avec les Archanges. Que la solennité soit commune aux puissances célestes et aux puissances terrestres … ».
Traduit en latin par Rufin d’Aquilée, ce discours fut diffusé en Occident dès la fin du IVe siècle.
Par Françoise Thelamon, professeur émérite d’histoire de l’antiquité, université de Rouen