Il est intéressant de voir combien, à de très faibles variantes près, le martyre d’Etienne et la passion du Christ se superposent dans les derniers instants. Un jugement qui n’en est pas un. Une parole qui déclenche la haine de la foule, un mouvement qui conduit la victime et la foule hors du tribunal, une exécution immédiate, avec l’approbation de l’autorité juive du moment et un mouvement de pardon aux bourreaux avant d’aller vers le Père.
Nous faisons d’Etienne, le premier martyr et en même temps le prototype du martyre. Ce qui n’est pas tout à fait exact, sans être faux non plus. Les premiers martyrs, involontaires et donc non conscients, sont les saints Innocents, morts pour le nom du Christ. Mais il y a entre eux et Etienne, un autre témoin mort pour rendre témoignage à la Vérité, c’est le Christ Lui-même.
Nous distinguons martyre et passion, mais la passion est bien un martyre et le martyre comprend bel et bien une forme de passion, un chemin de croix aux formes variées qui ouvre le Ciel vers le Père, par le Christ. La différence entre la passion du Christ et la passion du martyr est que le Christ en sa passion ne se contente pas de passer vers le Père, il ouvre la porte qu’il est Lui-même par sa passion.
C’est en cela qu’Etienne est le premier martyr et le prototype du Martyre. Le premier conscient et posant un acte volontaire de témoigner jusqu’à sa mort que la mort est bel et bien vaincue. Le premier, par ce témoignage à passer par cette porte de la passion nouvellement ouverte par le Christ. Si Dieu a souhaité que le martyre d’Etienne suive presque pas à pas celui de son Fils, c’est bien pour montrer quel est le chemin du martyre. Un chemin que l’apologétique ultérieure prendra comme topos, comme forme normative de tous les récits de martyres, non pour inventer du merveilleux, mais pour constamment rappeler en quoi consiste ce chemin.
Le martyre n’est pas le simple fait de mourir et de souffrir, condamné injustement à cause du Christ. Le martyre est loin d’être passif, même si on le subit, en effet. Le martyre est une acceptation volontaire et consciente de témoigner jusqu’à la mort d’une vérité essentielle : Christ est ressuscité. N’est-ce pas ce Fils de l’Homme qu’Etienne voit aux côtés du Père ?
Mais témoigner du Christ, être garant par sa mort de la vérité, ne suffit pas à être martyr. Il faut être témoin à la manière du Christ, c’est-à-dire dans et par l’amour. Le Christ est mort pour les pécheurs, tous ceux qui le persécutaient. Or qui sont les persécuteurs du Christ sinon nous à chaque fois que nous péchons puisque nous rajoutons poids, crachats et flagellation à la passion du Christ. Et que dit le Christ avant de mourir ? Pardonne-leur ils ne savent pas ce qu’ils font.
Le martyr n’est pas triomphant face à ses bourreaux, ni méchant, ni vindicatif pour une vengeance à solder en enfer. Non le martyr pardonne parce qu’il veut le bonheur aussi pour ses bourreaux. Alors le ciel s’ouvre à lui comme à Etienne et il peut voir la gloire de Dieu.
Quelque soit la forme du martyre, et le génie humain peut se révéler très inventif en la matière, Il suppose donc l’acceptation consciente et amoureuse de donner sa vie pour témoigner de la Vérité et notamment de la vérité du Christ ressuscité. Un martyre qui s’offre, comme le Christ, pour le pardon de ses propres bourreaux qu’il veut, comme le Christ, retrouver au Ciel dans les bras du père.
Si le martyre d’Etienne diffère sur certains points du récit de la passion du Christ c’est pour que chaque martyre n’oublie pas qu’il n’est pas la porte vers le père. Il est témoin jusqu’au sang, mais son sang ne sauve pas comme celui du Christ quelque soit la part qu’il achève dans chaire à ce qu’il manque à la Croix du Christ comme le souligne saint Paul.
Baudouin d’Alixan