Le sens des mots et les dérives de leur emploi quotidien est souvent très riche d’enseignement. Prenez le mot sacrifice, un terme qui ne plait guère aujourd’hui tant il est synonyme de privation, de souffrance même. Pourtant, si ces notions disent quelque chose du sacrifice, elles en détournent le sens profond et étymologique. En vérité, ces faux synonymes nous disent plutôt notre état d’esprit face au sacrifice.
En réalité, il faut mettre en miroir sacrifier et profaner, deux mouvements inverses qui s’opposent, comme deux enfants tireraient chacun sur les pans d’un unique manteau. Mais l’un comme l’autre sont bien deux actes et plus exactement deux mouvements de transformation qui font changer de lieu une même chose. Et en les changeant de lieu modifient leur état même. L’étymologie est une explication limpide de ce en quoi consistent ces deux mouvements contraires.
Sacrifice, vient du latin sacrum facere, « faire sacré ». Il s’agit de rendre sacré quelque chose qui donc ne l’était pas. C’est un acte qui consiste à faire passer dans une autre dimension un objet, une personne ou un lieu. On retranche donc de ce lieu cet objet pour le mettre dans un nouveau lieu qui en fait est un état. Un état hors du commun humain, l’état sacré qui confère donc à l’objet une nouvelle nature « mise à part ». Nous sommes donc dans un mouvement qui conduit à poser dans le monde divin quelque chose qui n’y était pas.
Mais où donc était cette « chose » auparavant ? Quel est le lieu hors du sacré ? Précisément le lieu dit profane, du latin pro fanum (temple). Il n’y a pas de lieu intermédiaire entre le sacré et le profane. Où nous sommes dans le sacré, où nous sommes, hors du sacré (pro fanum). Faire un sacrifice consiste donc à poser dans le monde du sacré, une personne, un acte, un lieu ou un objet. Profaner, revient, à l’inverse à sortir du sacré. Ou nous sommes dans le sacré, ou nous sommes dans le profane. C’est un mouvement, un acte pour un changement d’état.
Ce qui devient sacré, sortant du monde et donc de l’usage profane, appartient au divin et non plus à l’humain. D’où l’extrapolation de privation que nous prêtons au sacrifice. Ce qui en dit long sur notre rapport au sacrifice vu comme une privation et non comme un don. Derrière cette petite nuance se situe notre propre spiritualité et notre rapport à Dieu.
Si nous allons plus loin, nous pouvons faire de notre vie un sacrifice permanent, en offrant tous nos actes, notre journée à Dieu. C’est lui offrir nos actes pour que tout soit accompli pour Lui. Outre le fait non négligeable de nous poser en Dieu en permanence, il y a dans l’acte de sacrifice une nécessité de cohérence, véritable garde-fou de nos péchés. En effet, il est difficile de « sacrifier » nos actions mauvaises. En d’autres termes, tout ce que nous ne pouvons pas offrir en sacrifice nous invite à nous poser la question de la bonté de ce que nous sommes en train de faire.
Nous avons donc la possibilité inouïe de faire de notre vie un don sacré permanent, une prière, une action de grâce, une coopération à l’œuvre même du Christ, ou de rester des profanes qui se contentent de quelques incursions dans le divin, à l’occasion. Si profaner consiste à souiller le sacré par l’usage profane d’un lieu sacré, nous pouvons aussi l’entendre comme le miroir de sacrifier : d’un côté je rends sacré, de l’autre je maintiens hors du sacré.
Baudouin Dalixan