Lors d’une messe célébrée ce dimanche 16 octobre 2016 au pied des ruines du château de Montségur où eut lieu l’exécution des derniers cathares, Mgr Eychenne a reconnu la responsabilité de l’Église et de l’Inquisition dans ce drame.
A quoi bon reconnaître les méfaits causés par d’autres, il y a des siècles ?
Mgr Jean-Marc Eychenne aurait pu également voir le verre plein de l’action menée par saint Dominique en pays cathare. Il aurait pu également considérer le problème politique de sûreté publique que posait cette communauté, non seulement en marge de l’Eglise, mais aussi du royaume. Il est extrêmement délicat de poser, à huit siècles de distance, un jugement sur les actes de nos ancêtres. Les mentalités, les enjeux ne sont pas les mêmes et cette demande de pardon en est l’illustration.
Reconnaître les fautes passées d’une institution peut, effectivement, crever l’abcès de siècles de rancœurs et couper court aux innombrables reproches actuels. Mais enfin à qui s’adresse ce pardon ? Aux cathares post-mortem ? Aux hommes d’aujourd’hui blessés des siècles après par cette flétrissure de l’histoire ? Ou à Dieu lui-même ?
Pour être juste, la demande de pardon doit porter sur des responsabilités effectives, sans quoi elle risque bien d’être une récupération médiatique et politique. Le catharisme n’est pas une période binaire, avec les bons cathares persécutés et les méchants ecclésiastiques sanguinaires. Aussi la première étape du pardon doit elle, pour être vraie, faire preuve d’humilité, c’est-à-dire de se conformer à la vérité. Humilité ne signifie nullement misérabilisme.
Au demeurant, si la demande de pardon s’adresse aux hommes, elle doit aussi s’adresser à Dieu qui est toujours offensé par les fautes et péchés de son Eglise. Mais à qui revient-il de demander pardon ? A l’évêque actuel ou aux auteurs effectifs du mal ? Quelle est la responsabilité de l’Eglise d’aujourd’hui sur les méfaits passés ? Précisément, la responsabilité des héritiers porte sur la gestion des conséquences des actes de leurs ancêtres. Aussi, s’agit-il davantage de justice à rétablir et de vérité que de pardon. Du moins dans un premier temps.
Le pardon est devenu cependant, le truchement médiatique de la réparation. Car ce qui est blessé c’est l’image de l’Eglise dans le cœur des hommes. Là est la responsabilité actuelle des prélats. Il leur incombe de restaurer la beauté de l’Église dans le cœur de nos contemporains.
Ceci passe-t-il par une démarche de pardon portant sur des actions passées ? Reconnaître les erreurs passées est déjà un acte d’humilité et un point de départ pour aller de l’avant. Néanmoins, dans le contexte propre au pays cathare, il semble qu’une démarche particulière participe de la dimension pastorale en direction des populations non croyantes.
En effet, telle semble être la préoccupation du pasteur de Pamiers « Beaucoup de gens, ici, ont le sentiment que les catholiques d’aujourd’hui sont les mêmes que ceux qui, hier, ont persécuté ces chrétiens ».
Mgr Jean-Marc Eychenne fait de cette démarche un acte politique plus qu’une démarche de repentance. Puisqu’il veut donner une leçon pour aujourd’hui. C’est donc ainsi qu’il explique son geste, une sorte de “plus jamais ça”. Dans ce cas, une commémoration n’eut-elle pas suffit ? Un hommage, une veillée de prière n’eussent-ils pas été plus appropriés ? N’est-ce pas là galvauder le pardon ? En effet, au pardon est adjoint la réparation, la pénitence (qu’on n’ose plus guère aborder de nos jours). Pour qu’une démarche de pardon soit complète il faut ce quatuor : reconnaissance du péché, contrition et satisfaction (réparation si l’on veut faire court) et ferme propos de ne plus recommencer.
Pour faire de cet acte un symbole fort, il faut donc également poser cet acte comme symbole visible du sacrement dont il est l’expression. La démarche de pardon de l’évêque ne doit pas être la simple reprise d’une demande humaine. Elle doit être le signe même du pardon chrétien qui inclut toutes ces dimensions.
Or la démarche épiscopale ne comprend qu’une demande globale de pardon, sans distinction des faits, ce qui nous place dans la posture politique générale. Si l’évêque exprime publiquement le regret d’une faute commise par d’autres au nom de l’Eglise (en tout cas d’une partie de l’Eglise), il n’engage aucune réparation, sauf à considérer, ce qui est possible, que le “plus jamais ça” est une résolution active. La politique étant acte de la charité, il peut y avoir dans cette démarche publique, un acte politique qui puisse être pris pour une satisfaction, fruit de la pénitence. Encore faut-il rappeler le lien entre satisfaction et oeuvre de pénitence.
Concrètement, la demande de pardon de l’évêque de Pamiers apparaît plus comme le moyen d’attirer l’attention sur le message “pour aujourd’hui” que l’évêque entend donner au monde avec le “plus jamais ça”. Démarche louable, mais qui, par l’appauvrissement du pardon chrétien, met la démarche elle-même en porte-à-faux.
« En lien avec les blessures qui marquent notre temps, nous voudrions réaffirmer aussi que le pouvoir religieux et le pouvoir politique (le spirituel et le temporel) doivent impérativement être séparés si l’on veut respecter la liberté, l’intégrité et la conscience de chacun ». Pas question selon l’évêque de Pamiers, d’employer « des moyens ne respectant pas la dignité des personnes humaines » pour « atteindre une fin juste »