A quoi donc servent les évêques ? Cette question est passée par la tête de bien des fidèles catholiques, d’après ce que j’ai appris par des conversations au cours de ma vie d’adulte. Bien souvent une question est posée, ou est fait un commentaire de façon sarcastique au sujet d’un évêque ou autre qui aurait failli en ne défendant pas la doctrine catholique, alors que certains « évènements » lui commandaient de prendre position. Attendons que le coq ait chanté trois fois…
(reprise estivale d’un article du 6 décembre 2016)
Par le silence ou, plus fréquemment par de vagues commentaires de la hiérarchie, les fidèles comprennent que, quand il s’agit de témoigner du Christ et de son enseignement, ils sont livrés à eux-mêmes. Le Catéchisme de l’Eglise catholique leur rappelle l’essentiel de notre foi. Mais, s’ils choisissent de s’engager dans une forme de résistance, ils ne peuvent pas espérer l’appui de leurs chefs.
Le plus probable est qu’ils soient alors disqualifiés, traités de fanatiques et abandonnés à cette réputation. Car on considère qu’ils ne parlent que pour eux-mêmes, alors même que toute chose dite avec clarté et précision risque d’être rejetée comme étant simplement l’expression de simples « sentiments » et ils sont même diffamés comme propageant des paroles de haine.
A notre époque lugubre, la dictature du relativisme sans foi ni loi s’affirme partout, à travers une expression unique au plan académique, juridique, social et politique. Dites n’importe quoi et vous risquez d’être traîné en justice sous prétexte que vous pourriez heurter les sentiments de membres inconnus d’un groupe politique quelconque. L’opposant perd son indépendance vitale, ou, s’il tient à la conserver, doit se soumettre à une forme d’humiliation publique et à certaines épreuves de « conseil », d’exercices de « contrôle de comportement » ou de « rééducation ».
[…]
Ainsi, à toutes les époques, dans toutes les nations, il faudra toujours beaucoup de courage pour s’opposer à une injustice.
De nos jours, dans l’Eglise catholique, nous héritons d’une lignée d’évêques qui furent braves et dignes, inscrits dans les annales de nos Saints et Martyrs. Guidés principalement par la liturgie, ils constituent ce qu’on pourrait appeler un « Troisième Testament », chronique exemplaire à travers vingt siècles au cours desquels, grâce à la vie de grands hommes et femmes, la vie du Christ a été maintenue dans ce monde.
Nous ne pouvons absolument pas dire que les évêques sont toujours en tort à notre égard. Même quand ils se taisent, ce n’est pas une raison pour penser que nous devons nous débrouiller tout seuls. De plus, nous devons souligner que nous avons le droit, par la grâce de notre baptême, de nous déclarer, de revendiquer le bien et le vrai, de condamner ce qui s’oppose à eux. Mais de tels comportements ne sont pas très courants.
Que ce soit inhabituel fait partie de l’enseignement reçu à propos de l’homme pécheur. Nous sommes si attachés à notre confort terrestre, laissant libre cours à notre imagination en ce bas monde que, dans le choix si manifeste entre le bien et le mal, nous faisons le choix d’une vie tranquille. Et, comme nous devrions l’avoir compris grâce à l’Evangile, l’homme bien nourri, bien logé, jouissant de bonnes relations et magnifiquement habillé (comme un évêque !), a plus à perdre que la plupart. Pourquoi tout risquer contre le danger d’une persécution publique, et le risque d’être abandonné par son propre environnement ? Pour des récompenses dans un autre monde, qui ne peuvent être perçues qu’aux yeux de la foi ?
La nuit dernière, j’ai assisté au lancement d’un bon livre à l’Oratoire de Toronto, écrit par le P. Daniel Utrecht : la meilleur biographie que nous ayons aujourd’hui, en anglais, du Lion de Münster : le lion qui a rugi contre les Nazis. Son nom était Clemens August, Comte von Galen, dont un éloge éloquent a été publié dans The Catholic Thing, il y a quelques mois.
Contre le régime nazi, et particulièrement contre sa politique d’extermination, il s’insurgea, comme tout évêque devait le faire au cours de la période 1933-45. Mais la plupart optèrent pour un silence discret ou, au mieux, pour murmurer de discrètes récriminations.
Von Galen n’attendit pas le feu vert de l’autorité supérieure, car il avait cette légitimité. Et ceci était si manifestement vrai aux yeux de ses ouailles du diocèse de Münster, et sensible grâce au bouche-à-oreille à travers l’Allemagne que les Nazis n’osèrent pas le tuer, se réservant le projet d’appliquer cette délicieuse sanction, comme le confiait Hitler à son premier cercle, une fois acquise la victoire finale. Que celle-ci ne fut pas atteinte est au moins dû en partie à l’audace de cet évêque.
J’aime imaginer des hypothèses historiques contraires. Que ce serait-il passé ? Quoi donc si tous les évêques allemands s’étaient dressés comme von Galen ? Le régime aurait alors persécuté les catholiques à travers toute l’Allemagne, comme la pire copie d’un « Kulturkampf » à la Bismarck. Peut-être auraient-ils évité le recours aux Alliés pour que les Nazis soient finalement vaincus. Ils auraient probablement mobilisé toute l’Allemagne et empêché le déclin du christianisme.
Un autre contre-exemple : que se serait-il passé si, au lieu d’un seul (Saint John Fisher), tous les évêques britanniques s’étaient dressés contre Henry VIII ? Si tous avaient accepté le risque d’être des martyrs ; tout le clergé suivant leur exemple ; si tous les catholiques s’étaient dressés partout et pas seulement lors de révoltes régionales isolées ? Sans violence mais avec une sainte opiniâtreté pour dire :« Pas de ça ! ».
En somme, de telles choses sont impondérables. Mais j’aime rêver aux perspectives qu’elles permettent d’imaginer quant au pouvoir extraordinaire qu’aurait l’Eglise si elle était gouvernée par des lions.
David Warren, Ancien éditeur du Idler Magazine et journaliste au Ottawa Citizen. Expert des Proche et Extrême Orients.
Source traduction et texte complet France catholique