Sitôt le témoignage de Mgr Viganò publié, les commentaires sont allés bon train. Mais c’est aux Etats-Unis qu’ils ont été extrêmement rudes. Les évêques américains ont été particulièrement vifs dans ce mouvement de colère.
Pourquoi cette colère ? On a évidemment mis en cause le rôle des « conservateurs » ou la critique à l’égard du pape François. Ces explications sont justes, mais incomplètes. Les ressorts sont en fait plus profonds. Malheureusement, certains commentateurs assez compréhensifs vis-à-vis du pape François oublient ce « passif » qui affecta l’épiscopat américain.
En fait, l’épiscopat américain revient de loin. Au début des années 2000, plusieurs scandales commis par des clercs contre des mineurs avaient défrayé la chronique. Dans l’univers de l’Oncle Sam, elles s’étaient soldées par des indemnisations coûteuses à la charge des diocèses. Un évêque progressiste, Mgr Rembert Weakland, fut même mis en cause pour des histoires de pédophilie. Il était emblématique de ce refus de tout redressement dans culte comme dans la doctrine. Bref, de véritables années de plomb, même si elles ont été l’aboutissement de prévarications remontant aux années 1970. Très vite, un redressement s’est opéré. Les nominations effectuées par Jean-Paul II, puis Benoît XVI devaient conduire à des profils plus sensibles aux questions de foi et de morale.
En réalité, c’est tout une culture de l’intrusion de la sexualité dans les séminaires américains qui s’est révélée sous des aspects sordides. Les affaires de pédophilie n’ont été qu’une illustration. Mais les infractions à la chasteté ont été multiples et touchant aussi des adultes. Autrement dit, le progressisme épiscopal rappelle trop facilement ces années de prévarication. Les évêques ont voulu tourner la page. Par ailleurs, depuis 2002, un redressement s’était opéré. L’USCCB (nota : le nom donné à la conférence épiscopal des États-Unis) a même fini par devenir une conférence épiscopale combattive, avec des évêques engagés pour la défense de la vie. On comprend leur indignation : les révélations de Mgr Viganò leur rappellent ce retour aux années sombres dont ils ne veulent à aucun prix. D’où leur colère.
Pourtant, le choix d’infléchir la ligne épiscopale américaine aurait pu se comprendre. Chaque pape souhaite modeler les nominations épiscopales à son image ou procéder à des rééquilibrages. Les prédécesseurs de François ont agi de la même manière, mais dans des sens parfois différents. Paul VI voulait un épiscopat acquis à Vatican II, Jean-Paul II un ensemble d’évêques plus soucieux d’une application non-idéologique du concile. Si l’on remonte plus loin, Pie XI nomma des évêques au profil différent de ceux de Saint Pie X. Ainsi de suite. On se doute que François est plus sensible à des pasteurs « qui sentent l’odeur des brebis ». Tout le danger est qu’elles soient galeuses.
Bref, le progressisme épiscopal américain sentait le souffre en raison de fâcheuses proximités. Et pourtant, c’est bien lui qui a été sollicité.
Sur ce plan, tout pape nouvellement élu ne connaît pas nécessairement l’épiscopat des pays voisins du sien, alors qu’il faut parfois faire vite dans les nominations. Le nouveau pape était alors assez éloigné de l’épiscopat américain. Il n’avait que quelques contacts avec des évêques sur une ligne minoritaire par rapport à la ligne ratzingéro-wojtylienne. Pour raisonner selon des termes empruntés à la science politique, on se situe dans un problème de ressources. François avait des ressources limitées. Pour aller plus vite, il fallait donc de recourir à des « initiés », c’est-à-dire à des évêques du coin qui connaissent le « milieu ».
Le cardinal McCarrick a certainement été l’un de ses profils. Disposant de bons réseaux, il ne pouvait que donner assez facilement quelques tuyaux sur les nominations. Un apporteur d’affaires. Certes, l’intéressé a avait subi des remontrances et mêmes des sanctions. Mais l’application lâche et l’ineffectivité de ces mesures aboutirent même à les relativiser. La main hésitante de Benoît XVI, qui se heurta déjà à une résistance de la curie, rajouta peut-être à la confusion et désamorça François dans les mises en garde qu’on lui adressa.
Avec la crise récente, les ressources du pape risquent d’être encore plus limitées. Ce qui signifiera, par exemple, la nécessité une plus grande composition avec les responsables de la conférence épiscopale américaine. Dans ce bras de fer, des marges ont été perdues.
Il y a bien un grand problème. Comment un crédit a-t-il pu être donné à un Maciel « de gauche » ? Le fait d’incarner une ligne plus pastorale permet-il d’absoudre un « passif » assez malsain ? La vérité doit être faite. Il est même troublant de voir que ces affaires aboutissent à rappeler le lien entre la prévarication doctrinale et la prévarication morale. Comme si le lien devait toujours rappeler son existence. Une Église qui ne sait plus en ce qu’elle croit et qui ne sait plus prier perd aussi la nécessité de préserver sa morale. La multiplication des errances n’est jamais un bon signe.
On notera quand même une chose. Il y a quelques jours, François a parlé de «gouffre spirituel ». N’est-ce pas lui qui explique le fait que des maisons de prières soient devenues des lieux de désolation ? L’affaiblissement d’un climat de prière doit aussi être mis en lumière. L’Église n’a rien à gagner de la disparition ce qui est censé la faire vivre.
Il est temps de faire le point pour rappeler que la moindre défaillance dans la formation du clergé aboutit à des résultats désastreux. Cela suppose de mieux mettre en évidence la crise qui a secoué – et secoue toujours – l’Église catholique, laquelle doit la vérité à ses enfants. Pour mieux avancer dans la clarté. Tout simplement.
Retrouver notre lettre d’actualité complète à partir de ce lien :
Edito #92 – Pour mieux comprendre l’onde de choc de l’affaire McCarrick
Voir les archives de nos synthèses hebdomadaire :
[wysija_archive list_id=”8″]