Edito – 30 ans après les sacres

Edito – 30 ans après les sacres

Le 30 juin 1988, Mgr Lefebvre sacrait quatre évêques sans mandat pontifical. Un processus de négociation avait débouché sur une crise. Malgré un protocole d’accord signé le 5 mai 1988, Mgr Lefebvre, estimant que certaines garanties n’étaient pas suffisantes, avait préféré prendre le risque de sacrer contre la volonté expresse du pape. Outre le début d’une controverse canonique, ce fut l’amorce de divisions entre les catholiques eux-mêmes avec beaucoup de maladresses et de crispations.

Pourtant, 30 ans après, les choses ont quelque peu changé. En 1988, il existait peu d’instituts traditionnels capables de se propager; de fait, la Fraternité Saint Pie X était dans une situation de monopole, notamment sur le plan “tridentin”. Aujourd’hui, la situation a bien évolué: non seulement les instituts dits traditionnels se sont multipliés (créés en 1988, en 1990, en 2016 ou même après), mais les diocèses ne sont plus tout à fait hostiles à cette “offre” traditionnelle. En fait, le monde “traditionaliste” est extrêmement large et composite. Minoritaire, il n’est plus pour autant dans une situation de bastion assiégé. Fait significatif: le Pèlerinage de Chartres, lancé en 1982, attire de plus en plus de diocésains, tant fidèles que prêtres, tout en maintenant son attachement à la liturgie traditionnelle. En trente ans, les lignes ont bien bougé.

Enfin, la génération des prêtres et des évêques a changé. En 1988, le personnel ecclésiastique avait connu le concile Vatican II et s’inscrivait dans une application tendancieuse du concile : les relations avec  la Fraternité Saint Pie X étaient donc rares ou polémiques. Aujourd’hui, avec une nouvelle génération de prêtres, qui accède nécessairement à l’épiscopat, les relations sont détendues ou mêmes bienveillantes. Autrement dit, les ponts ont été multipliés sur fond de porosité entre les différents “groupes” catholiques. Il est difficile de penser que la dynamique traditionnelle s’estompera, nonobstant les aléas romains et pontificaux. Il est même prévisible qu’elle continuera. L’intérêt du jeune clergé pour la messe traditionnelle ne cesse de progresser. Le mouvement est universel, à quelques exceptions géographiques bien délimitées.

À ce titre, la dynamique enclenchée depuis 2000 n’a pas cessé. Les contacts entre Rome et la FSSPX n’ont connu aucun arrêt. Le processus s’est même affiné. La levée des excommunications de Benoît XVI a fait éteindre une polémique, qui déchirait le monde catholique, sur la conformité des sacres au droit canon. Et l’arrivée d’un nouveau pape, réputé plus sensible aux périphéries et aux gens éloignés de l’Église n’a rien changé : le pape François a étendu au-delà de la période jubilaire, l’autorisation pour les fidèles de recevoir le sacrement de pénitence de prêtres membres de la FSSPX. Autrement dit, en attribuant une juridiction aux prêtres de la FSSPX, il a répondu aux cas de conscience de fidèles qui fréquentent les chapelles de cette fraternité. Une démarche similaire et anlogue a eu lieu pour les mariages. Certes, ce n’est pas un statut complet – on parlerait de statut “par morceaux” -, mais on s’éloigne doucment de la rupture et de la marginalité. Mgr Fellay a des échanges réguliers avec Rome. À ce titre, jamais dans l’histoire récente, les prêtres de la FSSPX n’ont eu autant de contacts avec Rome. Les rencontres privées avec le pape et les prélats romains sont courantes. François ne s’embarrase pas des protocoles. Il est même le pape qui connaît le mieux les responsables de la Fraternité Saint Pie X. Doctrinalement éloigné d’Écône, François en est humainement proche. Paradoxe pontifical où la périphérie ne peut se passer d’un certain centre.

Certes, la situation n’est pas idyllique. La crise se propage dans de nouveaux domaines, comme la morale, même si elle révèle plutôt des ruptures déjà manifestes; ainsi, la controverse sur les divorcés remariés est la conséquence de fissures, de comportements enracinés qui ont fini par influencer une partie de la hiérarchie. Mais justement: par le développement d’un catholicisme attaché à une certaine identité sacramentelle, on peut supposer que cette révérence envers les sacrements – qui fait tant défaut – pourra revenir. Si les appels à la tolérance à l’égard de comportements sacrilèges sont si forts, c’est aussi parce que la messe a perdu de sa sacralité dans la vie du catholique. En soi, pour toute l’Église, le développement de la liturgie traditionnelle est un signe positif. Une liturgie ancrée dans le Ciel peut aider à une meilleure vie chretienne. Dans une crise, au fond, tout est lié.

La Fraternité Saint-Pie X va bientôt voir son chapitre général réuni afin de désigner son nouveau supérieur. Ses membres sont déjà au séminaire d’Ecône pour une retraite sacerdotale. Ils prieront pour la FSSPX, mais aussi pour l’Église. Nous pouvons nous associer à leurs prières. La cause de l’Église n’est pas différente de celle du salut pour tous les hommes. Puisse cette réconciliation envisageable nous rappeler qu’il est l’ultime raison des efforts que tout catholique sincère mène  en ce bas monde.

 

 

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