Nous avons tous été surpris par l’émotion unanime qui a entouré comme un drap mortuaire le chevet en flamme de Notre Dame de Paris. Le monde entier s’est senti concerné. Et cette unanimité spontanée reste encore une énigme. A dire vrai l’émotion était partagée, mais les causes de cette émotion, elles, sont assez variées, de sorte que si nous éprouvions un même choc, ce qui a vibré en chacun est assez multiforme. Demeure qu’il est surprenant qu’un amas de pierres puisse, à lui seul, porter tant d’aspirations différentes. Notre Dame, rassemblait en elle, comme l’amalgame qui unit toute la construction, un faisceau de symboles qui rayonnait sur le cœur du monde entier.
Bien des tentatives d’explications ont été données à cette unanimité, mais il me semble que nulle part ailleurs que sur les réseaux sociaux, on en mesure la profondeur. Pour les uns c’est Paris, pour d’autres c’est la France, pour beaucoup c’est la chrétienté, pour un certain nombre l’histoire, quelques-uns la maternité et la liste est encore longue. Mais le fait est que Notre Dame a su rassembler en elle-même toutes ces différences, comme pour montrer qu’elles pouvaient s’unir, qu’elles avaient toujours cohabitées.
Mais une fois l’émotion passée, Notre Dame est devenue une pomme de discorde. Il fallait faire front, sauver Notre Dame, respecter une vieille dame qui meurt. Le souffle de la discorde se retenait au chevet mortuaire. Une fois Notre Dame sauvée, les symboles qu’elle portait en elle et qui ont fait converger l’humanité toute entière ont de nouveau volé en éclat. Chacun a cherché à comprendre pourquoi il s’était ainsi ému pour un tas de pierres. Trouvant ou non la réponse, chacun y est allé de son ordonnance pour sauver de la ruine les vestiges de ses propres symboles. Et ce qui était uni explosa. Des cendres, jaillit une hydre insoupçonnée. Il s’agit désormais de récupérer Notre Dame, chacun selon les motifs de son attachement à cette silhouette qui semblait le gage de la permanence de son identification à ce monument charismatique.
Certains veulent y voir une punition, d’autres l’écroulement d’un monde, d’autres encore se réjouissent dans leur conquête espérée de la vieille Europe. Les dons prodigieux récoltés déchainent contre Notre Dame hier encensée, les plus vifs reproches. Et voici Notre Dame hier ferment d’unité, aujourd’hui arène de pugilats.
Pourtant la clef n’est-elle pas dans les rosaces de Notre Dame de Paris qui, d’éclats multicolores, faisaient un unique tableau harmonieux ? L’espérance silencieuse ne réside-t-elle pas dans ce tour de main d’avoir su, par-delà les siècles, rassembler en une même unité les aspirations les plus profondes de tout un monde ?
Il me semble que la véritable leçon à tirer de cet incendie se trouve dans les raisons qui ont permis ce sentiment d’unité. Qu’est-ce qui en Notre de Paris (pas de Chartre, ni Saint-Pierre de Rome), qu’est-ce qui a permis d’unifier tant de divergences en une seule et unique rosace lumineuse au point d’être le phare de toute une partie de l’humanité ?
Pierre Selas
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Edito #122: Notre Dame, de l’unanimité à la discorde
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