Des limites de la perfection à la perfection des limites, ou comment être parfait comme le Père céleste est parfait !

Des limites de la perfection à la perfection des limites, ou comment être parfait comme le Père céleste est parfait !

Nous confondons souvent limites, faiblesses et imperfections, comme si le contraire de la perfection était d’être limité, comme si les limites entravaient la perfection que nous voyons comme un absolu indéterminé et illimité. Et ce faisant, nous glissons de illimité vers sans faille. C’est donner aux mots des sens qui ne sont pas les leurs.

Nous considérons souvent rapidement que limite signifie restriction et nous attribuons au mot limite le sens de rogner, diminuer, lui donnant une connotation négative qu’il n’a pas. Nous partons d’un tout aux dimensions absolues que nous réduisons à « que ça », à savoir cette réalité comprise dans ces limites qui seraient plus des cordes retenant l’immensité infinie que les contours d’une réalité objective. En d’autres termes, les limites brideraient la perfection.

Ainsi nous faisons de la perfection un absolu sans tâche, sans faille sans limite. Est parfait ce qui est irréprochable, qui correspond parfaitement à ce qu’on attend. D’un regard rapide, nous avons tendance à penser que ces deux phrases sont identiques et nous enfilons comme un collier de perles, absolu, sans tâche, sans faille, sans limite, irréprochable, qui correspond parfaitement à ce qu’on attend, comme si cela n’était que les éclats d’un même diamant. Pourtant il n’en est rien. Et correspondre parfaitement à ce qu’on attend ne signifie pas nécessairement sans faille. Des amoureux ne sont-ils pas attendris devant les fragilités de l’autre, qui pourtant est bien leur parfaite moitié ?

C’est que précisément, la définition de perfection n’est pas sans taches, sans failles ni limites. Etymologiquement, parfait signifie accomplir ce pour quoi on est fait. Telle est la perfection : accomplir ce pour quoi une chose, un être est fait. Ce qui veut dire que dans la perfection deux choses sont à prendre en compte, l’accomplissement et la finalité (ce pour quoi). Ce qui fait qu’une chose, ou une personne sera parfaite se trouve dans l’adéquation entre ces deux pôles : la finalité de son être et l’accomplissement de son être. C’est-à-dire qu’une chose est parfaite quand elle est accomplie dans sa finalité. Un vase sera parfait quand il recevra des fleurs sans perdre l’eau qui leur est nécessaire. Un vase percé, si beau soit-il, ne sera pas un vase parfait.

Il en va de même de l’être humain. Un homme sera parfait lorsqu’il accomplira ce pour quoi il est fait et non en tant qu’il repoussera sans cesse les limites de sa nature et de son caractère. Car les limites font précisément partie de cette perfection. Ce sont même les conditions de son accomplissement. Un soliflore qui voudrait élargir son col et sa capacité ne pourrait accomplir ce pour quoi il a été fabriqué et en déplaçant ses limites perdrait toute possibilité de perfection.

Les limites ne sont pas des entraves à un absolu, mais sont les contours du réel, les données constitutives d’une chose ou d’un être vivant. Modifier les limites revient à changer les ingrédients de la recette. Inévitablement le plat sera différent et la finalité changera.

Attention cependant à ne pas réduire limite à immobilisme. Il s’agit bien de s’accomplir à partir de ses limites. Il y a donc un mouvement de déploiement, de développement qui ouvre, précisément, à l’épanouissement. Car ce que nous appelons limites (l’homme ne vole pas, n’a pas la science infuse…) sont en fait les conditions de possibilité de notre épanouissement. L’herbe est toujours plus verte dans le pré du voisin, mais au final c’est celle de notre champ qui est la meilleure. Ces conditions naturelles sont au contraire extensibles, à défaut d’être modifiables. C’est-à-dire que nous avons en nous une capacité relativement importante de déploiement. Ce que nous appelons improprement « repousser nos limites » est en fait déployer notre potentiel. Celui-ci est vaste, en grande partie ignoré et sous exploité. Nos déséquilibres viennent du reste souvent d’un inégal épanouissement de nos capacités. Certaines ont pu être surexploitées au détriment d’autres. Mais cela ne fait pas de nous des surhommes. Surexploiter des qualités au risque du déséquilibre n’est pas ajouter plus d’homme à l’homme, c’est déployer à l’extrême des qualités humaines. Le dopage (qui n’est autre que l’ancêtre du transhumanisme) c’est vouloir être plus que ce que l’on est. C’est, non pas repousser ses limites, mais les refuser. Or nier ses limites c’est se fermer les portes de la perfection, puisque c’est vouloir accomplir non pas ce pour quoi nous sommes faits, mais ce pour quoi un autre être que moi est fait. C’est une autre façon de « vivre à côté de ses pompes ».

C’est pourquoi, imaginer la perfection comme absence de limites, c’est de facto réduire la perfection à l’infini indéterminé, ce qui est impossible par nature à l’homme, être déterminé dès sa conception à être homme avec les limites propres à sa perfection d’homme, c’est-à-dire les conditions de son accomplissement et qui fondent la dignité humaine. Lorsque le Christ dit « soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait », il ne dit pas soyez des êtres sans limites et absolus. Le Christ nous dit devenez pleinement homme, comme Dieu est pleinement Dieu. En d’autres termes soyez des hommes accomplis dans votre perfection d’homme et vous serez heureux. Notre accomplissement n’est pas ailleurs que dans la réalisation de notre perfection. Or notre perfection, ce pour quoi nous sommes faits est simple : aimer Dieu et être aimé de Dieu. Nous sommes « parfaits » lorsque nous accomplissons cette vocation unique… et tout ce que cela signifie…

Or, quand les limites de l’homme lui font peur, quand l’au-delà lui fait peur, quand Dieu ne lui dit rien qui vaille, l’homme tente de repousser ses limites naturelles pour éviter ce moment inéluctable où il devra voir Dieu face à face. Si les chrétiens montraient à l’homme que ses limites sont le chemin par lequel il lui faut passer pour rejoindre la lumière, si les chrétiens ne cessaient de montrer que cette lumière est le bonheur de l’homme, alors peut-être le désir de Dieu serait-il plus fort que le désir de cette fuite en avant éperdue du surhomme qui cherche à surajouter de la technologie à son humanité, croyant trouver dans ce plus d’avoir et de puissance le bonheur qu’il ne trouvera jamais qu’au fond de lui, dans l’amour donné et reçu, seul absolu pouvant le combler. Le transhumanisme n’est finalement que la réponse déshumanisante à la phobie, qui sommeille en tout homme, du vide existentiel qui n’est autre que la non réponse à sa vocation propre. L’homme créé pour aimer infiniment, ne trouvant plus le chemin divin de l’amour infini est aujourd’hui pétrifié par cette béance d’amour qu’il ne peut plus combler et compense dans un surcroît d’avoir artificiel.

 

La réponse au transhumanisme n’est pas dans la négation de la quête existentielle du bonheur qu’il porte, mais dans la mise en lumière de la réponse à cette quête. Plus que jamais, il appartient aux chrétiens de donner Dieu au monde, sans quoi le monde se perdra en croyant se trouver au-delà de lui-même dans cet homme augmenté, illusion et ersatz d’humanité au contraire diminuée et piétinée.

Articles liés

Partages