L’affaire est déjà ancienne, mais elle resurgit périodiquement, comme un fil de nylon qui va et vient sur la couture usée du droit de l’Eglise. Alors que la crise de l’Ordre Souverain de Malte s’est étouffée par un coup d’Etat faisant fi du droit (quelles qu’en soient les raisons bonnes ou mauvaises), une autre affaire rampe et vient ternir (ou volontairement salir ?) l’image bon enfant du pape François. Y aurait-il encore un abus de pouvoir au mépris du droit dans la gestion de la crise des Franciscains de l’Immaculée ? Un ordre bi-ritualiste, mais attaché à la tradition. L’un des ordres les plus florissants en terme de vocation.
La situation est d’autant plus complexe qu’elle semble vouloir masquer des enjeux ecclésiaux qui dépassent les FFI eux-mêmes.
Pour comprendre la spiritualité de renoncement de cet ordre fondé par un fils spirituel de Padre Pio, voici tout d’abord quelques lignes d’un témoignage, précédant de peu la mise sous tutelle de l’ordre en 2013.
“Chiara, si nous voulons que notre mission fleurisse toujours plus”, a dit une sœur à ma fille peu avant son départ, “il faut qu’une parmi nous meure et offre sa vie car il n’y a rien de plus fécond que le sang offert pour Jésus. Les frères sont déjà morts, maintenant c’est à notre tour”. Ce ne sont que de pauvres, petits fruits perdus dans l’Afrique profonde qui montrent de quelle nature sont les racines de l’arbre planté par le père Manelli en 1970 dans le solide terrain de la foi catholique.
L’empreinte de ces sœurs et frères qui acceptent le martyre pour que la vie fleurisse, c’est la sienne. Depuis des années, cet homme vit dans la souffrance comme son père spirituel le Saint (Padre) Pio da Pietrelcina. Il y a quelque temps, lorsque les médecins ne savaient pas quoi faire pour le guérir du mal qui le tourmentait, un prêtre qui le connaît bien m’a dit: “Les docteurs sont en train de tout essayer, mais ils n’y parviennent pas parce que ils ne peuvent pas comprendre que cet homme offre ses propres souffrances pour le bien de l’Église. Il a choisi de porter sur son corps les plaies du Corps Mystique”. Il ne sert à rien de trop théologiser. Il suffit de rester cinq minutes avec le père Stefano pour comprendre combien la souffrance lui est intime, combien il la désire tout en la craignant, et combien il en offre les bénéfices et les bénédictions qui en découlent.
Et à propos du Père Manelli, mis en cause.
La renonciation à tout, mais vraiment tout ce que le monde peut offrir d’à peine confortable, vous prend à la gorge : il vous étouffe ou bien il vous sanctifie. “Si j’avais voulu me soigner les ongles et avoir l’eau chaude tous les jours” a expliqué une sœur de 22 ans à ma femme “je serais restée chez moi”. Ma fille Chiara, dans un mois de mission ne s’est jamais regardée dans la glace, elle en avait une toute petite juste pour vérifier de ne pas avoir attrapé les poux. La seule glace consentie aux sœurs franciscaines est l’image de la Sainte Vierge. Celui qui recherche l’oléographie et le pittoresque et pense aux couvents du tourisme spirituel qui sont à la mode aujourd’hui, qu’il évite soigneusement les maisons et les couvents de l’Immaculée. Il prendrait pour de l’incurie et de l’abandon la sainte indifférence que ces frères et sœurs éprouvent pour les choses du monde.
On ne comprendrait pas pourquoi des hommes et des femmes du 21ème siècle peuvent vivre dans une condition que tout chrétien respectable nommerait misère. Car c’est bien la marque des endroits dans lesquels les franciscains de l’Immaculée vivent, prient et se sanctifient. Après avoir vu la lumière qui brille dans les yeux d’un de ces frères ou sœurs, regardez leurs pieds et remarquez leur état. Si les yeux sont de ceux qui voient le Paradis, les pieds sont de ceux qui vivent plantés dans la misère du monde et l’embrassent. C’est ce qui m’est arrivé il y a quelque temps avec le père Apollonio, le bras droit du père Stefano. Après une heure passée à nous promener sur l’asphalte discutant des choses les plus élevées, le regard m’est tombé sur les ongles de ses pieds, pleines d’hématomes provoqués par le gel pâti pendant l’hiver. J’ai alors regardé mes chaussures, et j’en ai eu de la honte. Mais j’ai surtout eu de la peine pour mon regard, qui n’a certainement pas la joie de celui du père Alessandro.
Alors qu’en est-il ? Quel est le problème ? Une synthèse de l’interview du cardinal Braz de Aviz préfet de la congrégation des Religieux, accordée à l’agence de presse SIR surnommée l’« agence de presse officieuse de la Conférence épiscopale italienne », permet de saisir en quelques mots la situation.
La question donne le la : le journaliste parle d’un pacte de sang et de marques au fer rouge… Il faut savoir que depuis le mois de novembre dernier s’est déclenchée à l’initiative du Corriere della Sera une violente campagne de presse contre le père Stefano Manelli. Ce dernier est accusé d’avoir contraint des sœurs à signer un vœu de fidélité envers lui avec leur propre sang, d’avoir approuvé la pratique de marquer le sigle IHS au fer rouge et d’autres accusations plus “mineures”, sans oublier les habituels accusations relatives à l’argent et à de supposées attitudes déplacées. Le hic est que l’ensemble des accusations proviennent d’anciennes sœurs – au nombre exorbitant de… 3 –, que les accusations sont matériellement inexactes (le vœu « sanglant » de fidélité à la personne du fondateur n’apparaît sur aucun des documents fournis), qu’elles remontent à plus de vingt ans et que les sœurs actuelles les démentent – elles sont 300. Le sur hic est que le même cardinal-préfet a signé un décret qui libère les FFI et les Sœurs Franciscaines de l’Immaculée d’un tel vœu privé de fidélité au père Manelli, décret dans le corps duquel apparaît l’inévitable référence au pape François actuellement régnant. Or, aucune enquête canonique n’a été menée sur ce point, le père Manelli n’a jamais été interrogé sur le sujet et aucune autre congrégation éventuellement compétente (Doctrine de la Foi ?) n’a prononcé un quelconque jugement. Enfin des religieuses actuelles ont catégoriquement démenti, même à la télévision, de telles allégations. Nous avons là l’exemple d’une condamnation sans enquête préalable, ce qui est toutefois en cohérence avec toute cette affaire depuis le début. En effet la campagne de presse a fini par arriver sur le petit écran qui fit évidemment ses choux gras d’une telle affaire. En d’autres termes le cardinal-préfet se range au jugement… d’émissions de télévision people et de magazines du style Le Nouveau Détective. La décadence de la Curie romaine n’est pas qu’un mythe ! La prudence – et le bon sens – en la matière, commanderait d’attendre la conclusion de l’autorité judiciaire.
Le volet judiciaire de l’affaire des FFI concerne aussi les SFI puisque les associations propriétaires des biens qui servaient pour l’apostolat aidaient indifféremment les branches masculines et féminines. Il est bon de spécifier que ces associations ont été voulues par le père Stefano pour vivre la pauvreté radicale – pas de propriété pour les frères et les sœurs, ni personnellement ni communautairement sur l’exemple de saint Maximilien Kolbe. Les procédures contre ces associations ont été déclenchées à l’initiative de certains FFI : ni le Saint-Siège ni le Ministère public ne les ont engagées. Sans entrer dans les détails, des procédures sont effectivement en cours, mais le cardinal-préfet se garde bien de préciser que certaines sont déjà achevées et que les sentences finales sont en faveur de ces dites associations. Par ailleurs, le père Stefano a systématiquement porté plainte pour diffamation contre les anciennes sœurs qui se répandaient à la télévision. La justice italienne pourrait bien finalement donner tort à tous les accusateurs du père Stefano… dont fait maintenant partie le cardinal Braz de Aviz. Et n’oublions que feu le père Volpi a échappé à une condamnation civile “grâce” à sa mort subite. Par ailleurs, le fondateur ne se laisse pas faire et a déposé le 2 mars dernier une plainte contre certains responsables actuels des FFI – pas les commissaires – pour « association de malfaiteurs, calomnie et diffamation »… Dans la plainte une sombre histoire de fausse mort – rien de nouveau depuis saint Athanase – et des démentis formels à certaines allégations diffusées d’abord sur certains blogues et ensuite sur le petit écran.
L’enjeu semble bien plus terrible, si l’avis des observateurs est fondé, puisqu’il s’agirait rien moins que de porter atteinte à la vie religieuse dans son ensemble.
La Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée (également connue comme Congrégations pour les religieux), par un décret du 11 juillet 2013, signé par son Préfet, S.Em. le cardinal João Braz de Aviz et par l’archevêque secrétaire, S.E. Mgr José Rodriguez Carballo, ofm, ont relevé de leurs fonctions les supérieurs des Franciscains de l’Immaculée, confiant le gouvernement de l’Institut à un « Commissaire apostolique », le Père Fidenzio Volpi, ofm cap. Afin de durcir la forme du décret, le cardinal João Braz de Aviz s’est muni d’une approbation ex auditu du Pape François, ce qui retire aux Franciscains de l’Immaculée toute possibilité de recours devant le Tribunal de la Signature apostolique. Les raisons de cette condamnation, qui a pour origine un exposé fait à la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée par un groupe de religieux dissidents, demeurent mystérieuses. Du décret de la Congrégation et de la lettre envoyée aux Franciscains le 22 juillet par le nouveau commissaire apostolique, les seuls chefs d’inculpation semblent être ceux de faible « sentire cum Ecclesia » et d’attachement excessif au rite romain ancien.
En réalité, nous nous trouvons face à une injustice flagrante vis-à-vis des Franciscains de l’Immaculée. Cet institut religieux, fondé par les Pères Stefano Maria Manelli et Gabriele Maria Pellettieri, est l’un des plus florissants de l’Église par le nombre de vocations, l’authenticité de la vie spirituelle, la fidélité à l’orthodoxie et aux autorités romaines. Dans la situation d’anarchie liturgique, théologique et morale dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, les Franciscains de l’Immaculée devraient être pris comme exemple de vie religieuse. Le Pape rappelle souvent la nécessité d’une vie religieuse plus simple et plus sobre. Les Franciscains de l’Immaculée se distinguent justement par l’austérité et par la pauvreté évangélique avec lesquelles, depuis leur fondation, ils vivent leur charisme franciscain. Aujourd’hui, cependant, au nom du Pape, la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée relève de ses fonctions le gouvernement de l’institut, pour le transférer à une minorité de religieux rebelles, d’orientation progressiste, sur laquelle le nouveau commissaire apostolique s’appuiera pour le normaliser, c’est-à-dire pour le conduire au désastre auquel il avait jusqu’ici échappé grâce à sa fidélité aux lois ecclésiastiques et au Magistère.
Mais aujourd’hui, le mal est récompensé et le bien puni. Il n’est pas surprenant que cette dure sanction à l’égard des Franciscains de l’Immaculée provienne du même cardinal qui souhaite compréhension et dialogue avec les religieuses hérétiques et schismatiques américaines de la Leadership Conference of Women Religious (LCWR). Ces religieuses prêchent et pratiquent la théorie du genre et il faut donc dialoguer avec elles. Les Franciscains de l’Immaculée prêchent et pratiquent la chasteté et la pénitence et il n’existe donc pas de possibilité de compréhension pour eux. Ceci est la triste conclusion à laquelle parvient inévitablement un observateur impartial.
L’un des chefs d’inculpation est d’être trop attachés à la Messe traditionnelle. Mais cette accusation n’est qu’un prétexte dans la mesure où les Franciscains de l’Immaculée sont bi-ritualistes, c’est-à-dire qu’ils célèbrent la Messe tout à la fois selon la forme ordinaire (« nouvelle Messe » du Missel de Paul VI) et selon la forme extraordinaire du Rite romain (Messe dite tridentine selon le Missel de 1962), comme cela leur est permis par les lois ecclésiastiques en vigueur. Face à un ordre injuste, on peut imaginer que certains d’entre eux ne renonceront pas à célébrer la Messe « traditionnelle » et ils feront bien de résister sur ce point dans la mesure où il ne s’agira pas d’un geste de rébellion mais d’obéissance. En effet, les indults et privilèges accordés à la Messe « traditionnelle » n’ont pas été abrogés et ils ont une force juridique supérieure au décret d’une Congrégation et même aux intentions d’un Pape si ces dernières ne sont pas exprimées dans le cadre d’un acte juridique clair. Le cardinal Braz de Aviz semble ignorer l’existence du motu proprio Summorum Pontificum du 7 juillet 2007, de son décret d’application, l’Instruction Universae Ecclesiae du 30 avril 2011, et de la Commission Ecclesia Dei, annexée à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, dont la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée usurpe aujourd’hui les compétences.
(…)
Le décret constitue un abus de pouvoir qui concerne non seulement les Franciscains de l’Immaculée et ceux qui sont qualifiés improprement de traditionalistes, mais tous les catholiques. Il représente en effet un symptôme alarmant de cette perte de la certitude du droit qui contamine aujourd’hui l’intérieur même de l’Église. L’Église en effet est une société visible, au sein de laquelle est en vigueur le « pouvoir du droit et de la loi » (Pie XII, Discours Dans notre souhait du 15 juillet 1950). Le droit est ce qui définit le juste et l’injuste et, ainsi que l’expliquent les canonistes, « La potestas au sein de l’Église doit être juste et ceci est requis par la nature même de l’ Église, qui détermine les buts et les limites de l’activité de la Hiérarchie. Tout acte des Sacrés Pasteurs n’est pas juste du simple fait qu’il provienne d’eux » (Carlos J. Errazuriz, Il diritto e la giustizia nella Chiesa, Giuffré, Milano, 2008, p. 157). Lorsque la certitude du droit vient à manquer, l’arbitraire et la volonté du plus fort prévalent. Cela arrive souvent dans la société et peut arriver au sein de l’Église lorsqu’en elle la dimension humaine prévaut sur la dimension surnaturelle. Mais si la certitude du droit n’existe pas, il n’existe pas de règle de comportement sûre. Tout est laissé à l’arbitraire de l’individu ou des groupes de pouvoir et à la force sur laquelle peuvent compter ces groupes de pression afin d’imposer leur volonté propre. La force, séparée du droit, devient injustice et arrogance.
L’Église, Corps mystique du Christ, est une institution hiérarchique, basée sur une loi divine dont les hommes d’Église sont les dépositaires mais en aucun cas ni les créateurs ni les patrons. L’Église n’est pas un soviet mais un édifice fondé par Jésus Christ, au sein duquel le pouvoir du Pape et des évêques doit être exercé en suivant les lois et formes traditionnelles, toutes enracinées dans la Révélation divine. Aujourd’hui, on évoque une Église plus démocratique et égalitaire mais le pouvoir est souvent exercé de manière personnaliste, au mépris des lois et coutumes millénaires. Lorsqu’il existe des Lois universelles de l’Église, comme la Bulle de Saint Pie V Quo primum (1570) et le motu proprio de Benoît XVI Summorum Pontificum, il est nécessaire pour les modifier d’adopter un acte juridique équivalent. Il n’est pas possible de considérer comme révoquée une loi précédente si elle ne l’est pas par le biais d’un acte explicitement abrogatif de même rang.
(Institut du Bon pasteur 28 janvier 2014)
L’affaire s’enlise, alors que Rome veut en finir. Selon le journaliste italien Marco Tosatti, spécialiste du Vatican, le Saint-Siège doit faire face aux résistances de la congrégation qui considère comme une violence injustifiée la mise sous tutelle.
« La Congrégation pour les Religieux, explique—t-il, présidée par le cardinal brésilien Braz De Aviz et le secrétaire français Carballo voudrait clore le chapitre de la mise sous tutelle cette année, en convoquant un chapitre tout de suite après l’été. Mais il y a des difficultés.
Il y a une forte résistance de la part de beaucoup de religieux et de religieuses envers une mise sous tutelle qui a été vécue comme une forme de violence. A cette date, la Congrégation n’a toujours pas fait connaître les motifs à cause desquels l’ordre a été décapité et son fondateur de 83 ans, le Père Stefano Manelli, obligé de vivre dans une sorte de clôture imposée.
Aussi (…) en prévision d’un possible chapitre, les partisans de la nouvelle règle craignent que les fidèles du Père Manelli puisent élire un gouvernement sur leur ligne.
C’est pourquoi ces jours derniers, raconte Marco Tosatti, le Père Manelli a reçu un document, élaboré en audience par les responsables de la Congrégation pour les Religieux avec le pontife, et qui a son assentiment, dans lequel il est spécifié :
« Le Père Manelli est prié de relâcher un communiqué dans lequel il déclare accepter et observer toutes les dispositions du Saint-Siège et exhorter les Frères Franciscains de l’Immaculée et les Sœurs Franciscaines de l’Immaculée à adopter la même attitude.
Le Père Manelli ne pourra faire aucune autre déclaration dans les médias ni paraître en public.
Il ne pourra participer à aucune initiative ou rencontre ni en personne ni via les réseaux sociaux.
Le Père Manelli est prié de remettre, pour la pleine disponibilité des instituts, dans les 15 jours à compter de la réception du présent décret, le patrimoine économique géré par les associations civiles et toute autre somme à sa disposition.
Il est interdit au Père Manelli et au Père G. Pellettieri d’avoir la moindre relation avec les Frères de l’Immaculée à l’exception de ceux des communautés où ils résideront avec la permission de ce Dicastère. Ils éviteront tout contact avec les Sœurs Franciscaines de l’Immaculée ».
(Source)
Si tel est le cas, rapprocher l’affaire des FFI de l’Ordre de Malte devient d’autant plus troublant que maints échos de l’autoritarisme du pape traversent les murs jusqu’ici épais du Vatican. Ragots malveillants ou méthode choc pour parvenir à mener à bien la réforme de l’Eglise ? Padre Pio n’a-t-il pas lui-même été douloureusement éprouvé par l’Eglise avant d’être reconnu comme un des saints les plus exceptionnels de cette même Eglise ?