Si l’état du monde n’est guère brillant, dresser la liste des maux de notre temps s’apparenterait à une triste litanie dépressive. Pourtant, il ne serait peut-être pas inintéressant de s’employer à recenser l’abyssale réalité qui certains nient, quand d’autres préfèrent l’ignorer, faute de pouvoir y remédier. La situation économique désastreuse tient l’échine du peuple courbée sous le fardeau de la dette, contraignant l’humanité à trimer aveuglément pour survivre. Dans cette course folle à la nécessité matérielle, la dignité humaine se voit réduite à sa plus simple expression animale. L’âme et l’esprit étouffent, incapables et pour cause, de s’extraire de l’immédiateté contingente, mais ô combien existentielle. Souffrant de cet abandon, plus ou moins forcé, plus ou moins conscient, plus ou moins volontaire, de sa dimension spirituelle, l’être humain se rue dans le monde compensatoire de la consommation et de l’évasion. Fuite trompeuse, puisqu’il s’agit d’apaiser un vide spirituel et intellectuel par des succédanés matériels qui réduisent tout autant le corps que l’âme à l’état servile de la dépendance matérialiste.
Tel est le cheminement qui va du vide au vide. Cercle vicieux qui maintient l’Homme à terre. Avilissement dévoyé, pain béni du consumérisme, véritable opium du peuple, nous trouvons là la racine de l’état actuel du monde dans lequel nous évoluons. Un monde qui contraint même les plus spirituels d’entre nous, tant il est vrai que pour ne pas être de ce monde, nous n’en sommes pas moins en son milieu.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Certes par bien des chemins humains, faits de ruptures, de violences, de légers écarts cumulés et le démon, dont la négation, n’est pas le moindre de ces petits écarts, s’en est donné à cœur joie. Mais la source de cette spirale infernale ne serait-elle pas tout simplement le décrochage progressif des catholiques eux-mêmes ? Le monde n’est pas une puissance agissante en elle-même. Ce sont toujours des êtres humains très concrets qui agissent, posent des actes. C’est vous et c’est moi qui alimentons la spirale du mal ou au contraire nourrissons le cercle vertueux de la vie chrétienne.
Le regard tourné vers Dieu est happé vers Dieu, tandis que les yeux figés sur le nombril aspirent vers la glaise. Détourner notre regard de Dieu, relativiser le chemin de vérité qui conduit au cœur à cœur avec la Trinité, finalement mettre Dieu à la seconde, puis la troisième et enfin la dernière place, opère un insensible glissement de terrain. Dans cette coulée de boue imperceptible, nous passons de Dieu premier servi à Moi premier servi. Mais le drame de l’humanité, créée pour recevoir l’infini qu’est Dieu, est de ne pas trouver en elle-même ce bonheur comblant dont le vide crée ce mal être existentiel nourricier de tous les vices.
Nous avons relativisé la prière, réduit notre quotidien liturgique, accommodé le chemin de vérité à nos modes de vie de plus en plus tournés vers l’Homme et dont Dieu n’est finalement plus qu’un élément parallèle quand il n’est pas parasite.
Comme on vit on prie, comme on prie on vit.
Toute notre vie devrait-être orientée vers la contemplation, tendue vers l’amour divin. Mais sous le prétexte, un peu facile, d’être de toute façon pêcheur, nous nous accordons bien souvent nous-même la miséricorde divine, sans voir que le fond du problème n’est pas tant le péché, mais notre manque d’intérêt pour Dieu qui fait passer notre nombril et par voie de conséquence le monde, avant Dieu. Cette désorientation nourrit grassement notre péché qui n’est autre précisément qu’un refus de Dieu.
C’est ainsi que nous nous satisfaisons bien des milles entorses du monde, au point de gommer la frontière qui demeure infranchissable pourtant et qu’exprime le Christ nous rappelant que si nous sommes dans le monde, nous ne sommes pas du monde. Loin de cloisonner la citadelle assiégée, il convient de renverser la pente mortifère, pour nous comme pour l’humanité entière. Ce n’est pas en gommant la ligne de front entre le monde et le royaume que nous donnerons au monde le Christ. Bien au contraire, c’est en étant pleinement du Royaume que nous pourrons être, en vérité plus proche de ce monde qui a vocation, lui aussi, à être du royaume.
Mais que veut dire ne pas être du monde sinon n’avoir d’autre aspiration que le Ciel ? Ce n’est qu’ainsi que les catholiques peuvent renverser la vapeur d’un monde qui a tourné le dos à Dieu. Le catholique n’est pas d’abord un homme généreux habité de bons sentiments. Il est en exil sur cette Terre et cet exil est une plaie béante qui lui fait désirer le Ciel. Ce désir, s’il est vrai, bannit tout relativisme et fait alors en vérité Dieu premier servi dans notre vie. A force de donner au monde l’image de catholiques relativisant Dieu dans leur vie, le monde finit par déserter un Dieu qui de second est devenu absent puis inexistant.
Finalement notre relativisme, un rien nombriliste, a ni plus ni moins qu’éteint la lumière et affadi le sel. Notre responsabilité est lourde, abyssale même. Mais elle n’est pas fataliste. Nous avons en nous, à tout instant la puissance d’illuminer le monde.
Notre vie est comme un allogène. Son intensité lumineuse dépend de la radicalité de notre vie en Dieu. Radical ne veut pas dire excessif, mais tout simplement que Dieu est le tout de notre vie. Moins nous relativiserons Dieu, plus nous le rayonnerons.
M’est avis que nous trouverions ici l’acte politique le plus efficace contre la déferlante qui avant d’être une catastrophe économique ou même anthropologique est un refus (conscient ou non) de Dieu. Aux catholiques, comme aux tenants de la laïcité désordonnée, qui estiment possible, voire souhaitable, d’exclure Dieu du domaine public, il convient de rappeler que l’Homme est tendu vers Dieu de tout son être, ou ne l’est pas. Tout ce que nous ferons sera toujours une voie sans issue, si le chemin proposé ne conduit pas à Dieu. Même en politique.