Par un moine de Triors,
Grâce à Jean-Paul II, le 2 février est devenu la journée des religieux. Le choix de ce jour est très heureux, tant l’Évangile qui y est proclamé encourage et illumine tout consacré à poursuivre avec ardeur et persévérance la sequela Christi qu’il a embrassée en pleine liberté, en vue de porter des fruits rédempteurs pour lui-même et pour ses frères. Cet Évangile délivre aussi les religieux de toute autosuffisance qui à l’inverse les rendrait stériles.
Or nous vivons précisément une époque où la fidélité jusqu’à la mort devient extrêmement difficile, en raison d’une mentalité de changement constant et de provisoire dominante chez nos contemporains. C’est vrai pour le mariage, c’est encore plus vrai pour la vie religieuse. Notre culture de provisoire qui établit le vivre à la carte rend les hommes esclaves des modes éphémères et les éloigne des valeurs évangéliques fondamentales et pérennes. Ainsi, les renoncements réclamés par une vie qui se veut toute consacrée à Dieu dans la durée semblent impossibles à réaliser. L’époque d’internet non seulement ne facilite pas le silence absolument nécessaire, mais encore place les aspirants à la vie religieuse dans une situation socioculturelle aux antipodes de la vie religieuse. Ainsi beaucoup de jeunes deviennent victimes de cette logique de la modernité ; logique fausse mais qui en séduit hélas beaucoup, même si une jeunesse nouvelle entend conserver sa liberté qu’elle veut mettre au service de la vérité. Car quand l’homme aime vraiment, il ne prévoit pas le moment où il n’aimera plus. S’il a bâti sur le roc qu’est le Christ, toutes les intempéries peuvent arriver et le religieux, comme tout chrétien d’ailleurs, restera fidèle, comme les vieux chênes séculaires de nos campagnes.
La fidélité doit conduire à la sainteté. Le religieux embrasse la vie consacrée pour devenir par l’imitation du Christ un saint, un témoin des béatitudes. Hélas, il y a des contre témoignages. Mais à la vérité, il y en a toujours eu. La vie religieuse est vie au désert et on y rencontre Dieu, mais aussi le diable, l’ennemi du genre humain qui utilisera tous les moyens pour empêcher un religieux de parvenir à l’union au Christ et par là à la sainteté : routine, acédie, attrait des choses matérielles et amour de l’argent, divisions internes, recherche du pouvoir. En un mot, le religieux devra toute sa vie lutter contre les trois concupiscences dont parle saint Jean.
Notons toutefois que l’une des caractéristiques de la vie religieuse, à savoir la vie fraternelle en communauté, favorise étroitement non seulement le désir de sainteté, mais encore la réalisation de ce saint désir. Alors que l’ermite doit lutter tout seul, le religieux lutte avec des frères. On remarquera aussi que la vocation comme la foi est un trésor, certes porté dans un vase d’argile, mais un trésor qui est don absolument gratuit d’un Dieu de miséricorde qui veut une rencontre personnelle avec sa créature. Et ce Dieu miséricordieux est fidèle. Pour être comme son Seigneur fidèle et avoir les mêmes sentiments que lui, le religieux devra impérativement regarder constamment le Christ. Les infidélités viennent la plupart du temps de distractions et de déviations causées par le fait que l’on veut regarder autre chose que le Christ lui-même. Et on touche du doigt l’importance pour la vie religieuse non seulement de la conventualité, mais encore de l’accompagnement spirituel. Prions pour que avec Marie, tous les religieux accompagnent le Christ vers la Jérusalem céleste, comme les pèlerins d’Emmaüs le jour de Pâque.
L’homélie du Pape
Lorsque les parents de Jésus ont porté l’Enfant pour accomplir les prescriptions de la Loi, Syméon, « sous l’action de l’Esprit » (Lc 2, 27), prend l’Enfant dans ses bras et commence à louer. Un cantique de bénédiction et de louange : « Car mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples : lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël » (Lc 2, 30-32). Non seulement Syméon a pu voir, mais il a eu aussi le privilège d’embrasser l’espérance attendue, et cela le fait exulter de joie. Son cœur se réjouit parce que Dieu habite au milieu de son peuple ; il le sent chair de sa chair.
La liturgie d’aujourd’hui nous dit qu’avec ce rite (quarante jours après la naissance) « Jésus (…) se conformait (…) à la loi du Seigneur, mais (que), en vérité, il venait à la rencontre du peuple des croyants » (Missel Romain, 2 février, Monition de la procession d’entrée). La rencontre de Dieu avec son peuple suscite la joie et renouvelle l’espérance.
Le chant de Syméon est le chant de l’homme croyant qui, à la fin de ses jours, peut affirmer : c’est vrai, l’espérance en Dieu ne déçoit jamais (cf. Rm 5, 5), il ne trompe pas. Syméon et Anne, dans leur vieillesse, sont capables d’une nouvelle fécondité, et ils en témoignent en chantant : la vie mérite d’être vécue avec espérance parce que le Seigneur garde sa promesse ; et Jésus lui-même expliquera cette promesse dans la synagogue de Nazareth : les malades, les prisonniers, ceux qui sont seuls, les pauvres, les personnes âgées, les pécheurs sont invités, eux aussi, à entonner le même chant d’espérance ; Jésus est avec eux, il est avec nous (cf. Lc 4, 18-19).
Louange faite chair
Ce chant d’espérance, nous l’avons reçu en héritage de nos pères. Ils nous ont engagés dans cette « dynamique ». Sur leurs visages, dans leurs vies, dans leur dévouement quotidien et constant, nous avons pu voir comment cette louange s’est faite chair. Nous sommes héritiers des rêves de nos pères, héritiers de l’espérance qui n’a pas déçu nos mères et nos pères fondateurs, nos aînés. Nous sommes héritiers de nos anciens qui ont eu le courage de rêver ; et comme eux, aujourd’hui, nous voulons, nous aussi, chanter : Dieu ne trompe pas, l’espérance en lui ne déçoit pas. Dieu vient à la rencontre de son peuple. Et nous voulons chanter en nous introduisant dans la prophétie de Joël : « Je répandrai mon pouvoir sur tout esprit de chair, vos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens seront instruits par des songes, et vos jeunes gens par des visions » (3, 1).
Cela nous fait du bien d’accueillir le rêve de nos pères pour pouvoir prophétiser aujourd’hui et retrouver ce qui un jour a enflammé notre cœur. Rêve et prophétie ensemble. Mémoire de la façon dont ont rêvé nos anciens, nos pères et mères et courage pour poursuivre, prophétiquement, ce rêve.
Cette attitude nous rendra féconds, nous, personnes consacrées, mais surtout elle nous préservera d’une tentation qui peut rendre stérile notre vie consacrée : la tentation de la survie. Un mal qui peut s’installer peu à peu en nous, dans nos communautés. L’attitude de survie nous fait devenir réactionnaires, peureux ; elle nous enferme lentement et silencieusement dans nos maisons et dans nos schémas. Elle nous projette en arrière, vers les exploits glorieux – mais passés – qui, au lieu de susciter la créativité prophétique issue des rêves de nos fondateurs, cherchent des raccourcis pour fuir les défis qui aujourd’hui frappent à nos portes. La psychologie de la survie ôte la force à nos charismes parce qu’elle nous conduit à les « domestiquer », à les ramener « à portée de main » mais en les privant de cette force créatrice qu’ils ont inaugurée ; elle fait en sorte que nous voulons davantage protéger des espaces, des édifices ou des structures que rendre possibles de nouveaux processus. La tentation de la survie nous fait oublier la grâce, elle fait de nous des professionnels du sacré mais non des pères, des mères ou des frères de l’espérance que nous avons été appelés à prophétiser. Ce climat de survie endurcit le cœur de nos aînés en les privant de la capacité de rêver et, ainsi, stérilise la prophétie que les plus jeunes sont appelés à annoncer et à réaliser. En peu de mots, la tentation de la survie transforme en danger, en menace, en tragédie ce que le Seigneur nous présente comme une opportunité pour la mission. Cette attitude n’est pas propre uniquement à la vie consacrée, mais à titre particulier nous sommes invités à nous garder d’y succomber.
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