Le Pape François a décidé de retirer du cathéchisme de l’Eglise catholique la possibilité d’appliquer la peine de mort.
Cela ressemble un peu à un ralliement à l’esprit du temps où la mort est devenue “la nouvelle pornographie” selon le mot de l’historien Philippe Ariès. On sait bien que cela existe mais on (se) le cache.
On cache la mort aux enfant qui n’ont plus guère l’occasion de voir un cadavre, on ne se met plus “en deuil”, on conseille à ses amis touchés par la mort d’un proche de se distraire pour “penser à autre chose”.
L’usage de la crémation se répend, ce qui, si j’ose dire, signifie : faire disparaître le cadaver insignifiant…
Une association crématiste (si, il y a des militants pour ça) s’était inventé comme slogan:”c’est quand même mieux de laisser la terre aux vivants”, sans s’apercevoir que la terre est faite de déchets organiques,de morts qui font vivre les vivants…
Il existait des “confréries de la bonne mort” où les participants devaient se preparer à l’épreuve; aujourd’hui on conseillera à celui qui se préoccupera de ce destin, d’aller voire un psychiatre.
Même dans les cérémonies religieuses on tend à parler du défunt de son vivant, mais on prie de moins en moins pour son salut post-mortem…
C’est dans ce context du tabou de la mort qu’il faut replacer le theme de l’interdit de la peine de mort.
Pourquoi relancer le débat sur la peine de mort, apparemment usé dont on ne pourra débusquer l’enjeu qu’en déplaçant la question : pourquoi la peine de mort, aujourd’hui si largement réprouvée par tous les beaux esprits, a-t-elle été la norme quasi unanimement acceptée dans toutes les sociétés autres que la nôtre ?
J’en rechercherai la réponse dans une intuition de Baudelaire qui, au siècle dernier, s’interrogea aussi sur le déplacement culturel qui rendait déjà incompréhensible la peine capitale :
« La peine de mort est le résultat d’une idée mystique, totalement incomprise aujourd’hui. La peine de mort n’a pas pour but de sauver la société, matérielleme,nt du moins. Elle a pour but de sauver (spirituellement) la société et le coupable.
» Bien que le sacrifice soit parfait, il de qu’il y ait assentiment et joie de la part de la victime. Donner du chloroforme à un condamné à mort serait une impiété, car ce serait lui enlever la conscience de sa grandeur comme victime et lui supprimer les chances de gagner le paradis.» (Mon cœur mis a nu).
Goût du paradoxe ? Cruauté d’un disciple de Joseph de Maistre ?
Suspendons pourtant les réactions de notre sensibilité « moderne » pour remarquer que l’histoire a laissé trace d’un certain nombre d’’exécutions exemplaires où le coupable était par son sacrifice réconcilié avec sa communauté, avec ses dieux, et avec lui-même, réintégré dans sa dignité.
Pensons à l’étonnant procès de Gilles de Raïis où « Barbe-Bleue » est pardonné et embrassé par les parents des enfants qu’il avait torturés. Pensons à la Ballade des pendus de François Villon.
Est-il insignifiant qu’un supplicié de droit commun — le” bon” larron — soit le premier homme à qui la porte du salut ait été ouverte. Ouverte par le supplice même du Christ ?
Au moment où l’anthropologie contemporaine redécouvre l’importance des « sacrifices » (cf. Georges Bataille et plus récemment René Girard : « La violence et le sacré »), pouvons-nous encore nous défendre de ces conceptions — si étranges pour nous — en les qualifiant de mentalité archaïque ou barbare ?
Au contraire, la désuétude de la peine de mort où tendent nos sociétés industrielles n’est-elle pas l’un des symptômes de la désacra- lisation qui nous atteint ?
Dans les sociétés traditionnelles, la peine de mort témoignait de ce qui dépasse la vie elle- même, de ce qui dans l’homme passe l’homme (Pascal).
Non que la vie n’y soit pas une valeur, mais une valeur parmi d’autres, dans une hiérarchie de valeurs qui constituait d’ailleurs la vie comme valeur.
Sommes-nous encore capables de comprendre ce drame trop exotique, Je hara-kiri de
Mishima Yukio, en 1970, au Grand Etat-Major de Tokyo ?
Non! Comme l’avait compris Nietzsche, les valeurs (« ce qui vaut la peine de » — du sacrifice) sont des dieux. Et la « mort de Dieu » inaugure le nihilisme que les sociologues, dans leur jargon, appellent anomie.
Îl est donc normal que, dans ce monde où l’homme ne reconnait pas ce qui le dépasse, tous ceux dont les exigences intellectuelles ou morales vont au-delà de la réaction instinctive un peu obtuse soient opposées au maintien de la peine de mort.
Injustifiable car insignifiante
Condamner… « au nom de » quoi ? De quoi le supplice serait-il « signe » ? Quelle absurdité qu’un « sacrifice » qui n’est plus un « faire sacré ». (Dans les derniers temps de son application en France, la guillotine avait cessé d’être un spectacle public).
Pour ma part, je suis forcé de reconnaître que dans ce contexte — la peine de mort est injustifiable, car insignifiante.
Faut-il pour autant s’en réjouir ?
Considérons d’abord que notre époque, si sensible aux souffrances des bébés phoques, est aussi celle des grands massacres organisés, des échafauds de 1793 aux goulags et aux camps ce concentration. Car dans les sociétés dominées par les grandes idéologies modernes où s’est investie l’irréductible aspiration de l’homme à l’absolu, les « croyants » n’ont point de scrupule à sacrifier aux idoles. Progrès, sens de l’histoire, libération de l’homme, race ou classe, « les dieux ont (toujours) soif »…
Mais, affirmera-t-on, nos sociétés de tolérance dans leur insignifiante permissivité, ne nous permettent-elles pas d’échapper à ces totalitarismes ?
Ce serait trop vite se rassurer.
En effet, dans les sociétés « libérales», au pouvoir d’une justice terrible qui, jadis, tranchait et retranchait dans une mise en scène dramatique où se jouaient le corps, la responsabilité et le salut,, succède une administration judiciaire fonctionnelle rattrapant, sans passion, les bavures qui auront pu échapper aux services des éducateurs, psychiatres, animateurs, permanents ou experts en manipulation des organisations qui nous prennent en charge de la naissance à la mort (cf. Michel Foucault : Surveiller et punir).
Ce n’est pas seulement la peine de mort que nous abolissons, mais toute peine dans la mesure où elle implique la responsabilité personnelle d’un coupable. « Humanistes », gauchistes ou technocrates : tous les discours ne peuvent qu’affirmer l’irresponsabilité du justiciabie qui ne se retrouve devant un tribunal que par une erreur de gestion des organisations sociales ou de l’Etat-providence : il ne s’agit pas de condamner, mais de rééduquer.
Le criminel n’est plus responsable parce que plus personne n’est responsable. (et les prisons débordent…).
Le totalitarisme, c’est aussi quand la vie et la mort sont devenues des marchandises à gérer tranquillement, « fonctionnellement », sans drame et sans chocs pour nos sensibilités douillettes (avortement-pardon IVG, euthanasie, banques d’organes, GPA, etc).
Aussi cette désuétude de la peine de mort est-elle probablement moins l’effet d’une « huma- nisation » que l’indice de l’insignifiance de la mort (cf. le Tabou de la mort mis en évidence dans notre société par Philippe Aries) et la « dévalorisation » de la vie,
On ne retire plus guère la vie parce que la vie ne vaut plus guère.
MM