Sans grande illusion, la prochaine loi de bioéthique risque fort d’autoriser la PMA pour les couples de femmes et les femmes célibataires. Elle renforcera des pratiques problématiques comme celle qu’on appelle aujourd’hui la « coparentatlité ». Sur cette question épineuse, Adeline Le Gouvello, avocate, dénonce les impasses d’une filiation fragilisée.
Gènéthique : Depuis quand parle-t-on de coparentalité ou de co-parentage ? Quelle réalité recouvre ce terme ?
Adeline le Gouvello : En 2014, le projet de loi famille élaborée par le gouvernement souhaitait faire figurer ce terme de coparentalité et certains en avaient d’emblée relevé l’ambiguïté[1]. A l’origine en effet, l’objectif de la coparentalité est de garantir que les parents, même séparés, exercent bien leurs droits et maintiennent des liens réels avec leurs enfants. Cependant, dans le même temps, le terme était utilisé pour désigner la pluriparentalité : le site coparents.fr, tenu par l’Association des Parents Gays et Lesbiens mettait ainsi en relation des couples de même sexe qui souhaitent avoir « ensemble » un enfant. Sont publiées les annonces par lesquelles un homme (ou des couples masculins) recherche une femme (ou des couples féminins), et vice-versa, pour porter un enfant et l’élever en ayant recours à la « coparentalité », c’est-à-dire sans aucune intention de partager vie ou sentiments. Ces sites proposent le plus souvent aussi tous les renseignements pour « réussir » la « coparentalité » : les moyens concrets pour effectuer l’insémination, pratique pourtant prohibée par le droit pénal (l’insémination par sperme frais ou mélange de sperme frais est un délit) et les techniques juridiques pour impliquer chacun des « parents » de l’enfant (modèles de convention à télécharger en ligne, etc.). Les modalités d’exercice de l’autorité parentale sont définies dans une convention qui prévoit les droits et obligations de chacun sur l’enfant. La validité de ces conventions est plus que sujette à caution car elle place l’enfant dès son origine comme objet d’un accord (d’un contrat) ce qui n’est en principe pas possible au regard de notre Droit.
Désormais, le terme de coparentalité est accepté dans le sens de pluriparentalité[2].
Il ne recouvre pas une notion juridique mais une réalité sociologique que certains essaient de promouvoir en tentant de lui donner des effets juridiques par le levier bien connu du fait accompli alors que sa mise en œuvre devrait plutôt être limitée voire réprimée (poursuites pénales pour insémination artisanale, nullité des conventions portant sur l’enfant, etc.).
G : Il est un argument utilisé pour justifier la coparentalité : « un enfant né de deux parents qui s’aiment ne sera pas nécessairement heureux. Tandis qu’un enfant désiré et élevé par deux parents aimants : n’est-ce pas là, la clé de son bonheur ? ». Le projet est-il réaliste ?
AG : Les adultes en désir d’enfants ne sont pas forcément meilleurs ni plus équilibrés que les autres. En témoignent les faits divers qui régulièrement alimentent la chronique des journaux, comme cette mère qui, après avoir conçu son enfant dans un cadre de « coparentalité », le père étant homosexuel et étant entré en relation avec elle grâce à l’un des sites internet dédiés, a tué son bébé en le lâchant du 7è étage[3]… Les contentieux qui émaillent le quotidien des tribunaux en témoignent également : d’un projet enthousiasmant au départ, on passe à une situation extrêmement conflictuelle avec une saisine du juge pour trancher la question de l’exercice de l’autorité parentale (qui en est titulaire ?), les droits de visite et d’hébergement, et non plus pour deux mais pour trois, quatre (voire plus) « parents »… La situation est donc bien pire. Parfois, du fait des séparations et des remises en couple des uns et des autres, les enfants se retrouvent à devoir être hébergés dans quatre foyers différents (les quatre adultes à l’origine du projet de coparentalité, chacun séparé et chacun revendiquant un droit à l’égard de l’enfant). Ce ne sont pas des cas d’école. La situation de ces enfants n’est pas tenable.
L’amour ne justifie pas tout, et en particulier, ne peut pas justifier de priver l’enfant de sa filiation « réelle », ni le priver d’être éduqué par ses parents de naissance. Les normes internationales garantissent à l’enfant que soit établie sa filiation « réelle » (pour reprendre une terminologie de la Cour Européenne des Droits de l’Homme) et qu’il soit éduqué par les parents dont il est issu. On soulèvera alors d’emblée le paradoxe de cet amour d’adultes en projet de coparentalité qui commencent par priver l’enfant de l’un de ses droits fondamentaux et le rendent objet d’une convention, d’un accord, comme s’il était un objet de commerce. Il s’agit là d’une réification de l’enfant.
G : Comment ces pratiques impactent-elles la filiation ? Quels nouveaux défis font apparaître ce type de parentalité ?
AG : Notre droit de la filiation repose sur des faits objectifs. Il est fondé sur la réalité et la vraisemblance biologiques et il a fait ses preuves comme tel. La filiation d’un enfant lui montre de qui il est issu. Fonder désormais la filiation sur une « parentalité » d’intention est dangereux.
Ces pratiques de co-parentalité, basant la conception d’un enfant et le fait d’être parent sur l’intention et la volonté, rejoignent les projets actuels de suppression de la condition thérapeutique pour la Procréation Médicalement Assistée. En ouvrant la PMA avec tiers donneur aux couples de femmes, il devient nécessaire de baser la filiation non plus sur la réalité biologique ou sa vraisemblance (un enfant ne peut être issu de deux femmes), mais sur la volonté d’être parent.
Or, ce que la volonté fait, la volonté peut le défaire.
On pourrait ne plus se déclarer parent (consentement vicié à la base) ou s’ajouter comme nouveau parent (investissement et amour auprès de l’enfant) : en écartant toute référence biologique pour l’établissement de la filiation, il n’y a plus de raison de limiter le nombre de parents à deux.
En cela, l’ouverture de la PMA pour les femmes favoriserait fortement la coparentalité.
Baser la filiation sur l’intention entraînerait des conflits de filiation insolubles : s’il devient nécessaire de mesurer l’investissement et l’amour sans faille d’un adulte pour le désigner comme parent, critères subjectifs et nécessairement évolutifs, les juridictions n’en ont pas terminé avec les conflits de filiation !
A terme, c’est la filiation dans son ensemble qui sera impactée car on ne pourra continuer à faire coexister deux systèmes : l’un basé sur des faits objectifs, l’autre sur la volonté. Comment continuer à imposer à un père qui le refuse l’établissement de sa paternité biologique alors qu’à côté on est père ou on ne l’est pas suivant l’intention que l’on aura manifesté (dans le cadre d’une PMA, le donneur pour un couple de femmes ne pourra jamais être « ennuyé ») ? L’incohérence des dispositions conduira à court ou moyen terme à une unification, toute la filiation devant être basée sur la volonté, ce qu’on ne peut sérieusement envisager.
G : Alors que le féminisme valorise la sexualité sans contrainte, la coparentalité valorise la fabrication d’une enfant sans relation sexuelle. Quelles sont les conséquences sur la façon de considérer la famille ? Sur le droit de la famille ? Qu’est-ce que ces comportements remettent en cause de l’équilibre de nos sociétés ?
AD : Les questions éthiques et philosophiques soulevées par ces pratiques sont cruciales. En concevant un enfant de cette façon, quelle est la vision de l’Humain que nous avons ? Quelle place et dignité donnons-nous à l’enfant ? Il est certain que les normes existantes sont déjà fortement écornées par la coparentalité.
Ces comportements ont un impact sur la société dans son ensemble car pour obtenir un cadre juridique qui leur soit plus favorables, c’est le droit de filiation dans son ensemble que l’on va solliciter, puis le droit de la famille avec toutes les dispositions relatives à l’exercice de l’autorité parentale, etc. Il devient urgent, pour ces enfants mais pour tout un chacun également, que l’on mette un terme à ces pratiques : un enfant ne peut être conçu dès l’origine comme une chose que l’on se partagera et qui sera prêté d’un foyer à un autre. En outre, lorsqu’on connaît les difficultés constantes de la grande majorité des couples séparés, l’encombrement des juges aux affaires familiales, de tels projets paraissent totalement déraisonnables et contraires à l’intérêt de l’enfant.
Le code civil définit l’autorité parentale comme un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant, appartenant aux père et mère pour le protéger dans sa sécurité, sa santé, sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement dans le respect dû sa personne.
Toute l’éducation de l’enfant est faite de choix à réaliser par les parents.
Il est déjà difficile pour un couple qui vit ensemble d’éduquer un enfant alors que les membres se sont engagés l’un envers l’autre lorsqu’ils sont mariés, alors qu’ils ont une communauté de vie et donc une connaissance l’un de l’autre, une affinité de goûts… Que dire de personnes qui se rencontrent par petites annonces, qui en quelques heures règleront les « modalités » de vie d’un être humain, sans qu’ils ne partagent rien et ne sachent rien l’un de l’autre…
Au surplus, ces enfants issus de parents qui n’auront aucun lien entre eux, auront la pleine conscience d’être le seul lien entre ces adultes. C’est une responsabilité très lourde. En tant qu’avocat d’enfant, lorsqu’un conflit sépare les parents, nous disons toujours à l’enfant (qui se sent souvent responsable) qu’il n’y est pour rien : il s’agit d’une histoire entre ses parents. Mais dans les cas de coparentalité, il n’y a aucune histoire entre ses parents si ce n’est lui-même. Tout conflit entre eux surgit du fait même de son existence…