Née des luttes syndicales, aussi bien en Europe qu’en Amérique du Nord, la fête des travailleurs a, peu à peu, été reconnue comme un jour chômé. En France, c’est après la Première Guerre mondiale que le Sénat ratifie la journée de huit heures et fait du 1er mai un jour chômé.
Le régime de Vichy, dont la devise est « Travail, famille, patrie » transforme la fête des travailleurs en une « fête du travail et de la concorde sociale », marquant par là son refus du capitalisme et du socialisme. Le 1er mai est alors férié, chômé et payé. La Libération entraîne sa disparition, mais la fête du travail revient en 1947 comme jour chômé et payé avant de reprendre définitivement le nom de « fête du travail » en 1948.
Contre la perspective révolutionnaire
Dans le calendrier liturgique, le 1er mai a longtemps été la fête des saints Jacques et Philippe. Conscient de la nécessité de prendre en compte le bien des travailleurs et d’œuvrer dans l’esprit de Rerum Novarum de Léon XIII et de Quadragesimo Anno de Pie XI, le pape Pie XII institue en 1955 le 1er mai comme fête de saint Joseph artisan, christianisant ainsi une fête aux allures trop souvent révolutionnaires et insistant ainsi sur la dignité du travail. La perspective de Pie XII est de rompre avec la trop forte pression révolutionnaire qui pèse alors sur le monde économique, d’autant plus que l’époque est celle de la Guerre froide, opposant l’Ouest capitaliste au bloc soviétique. Trop souvent, les syndicats reproduisent sur le terrain social et économique cette opposition.
Un fruit de la conception moderne de l’homme
Si Léon XIII a reconnu le rôle des syndicats de patrons et d’ouvriers, la doctrine de l’Église insiste toujours sur la nécessité de la collaboration entre les classes, leurs intérêts, ou plus exactement leur bien, étant plus important que ce qui les oppose. Dans ce sens, l’Église encourage alors un régime corporatif, non pas étatique, décidé d’en haut et contrôlé par l’État, mais spontané, fruit de l’organisation des professions. On sait que l’obligation des corporations d’État par les régimes totalitaires a largement dévalué ce terme, réduit aujourd’hui à la vision négative de défense d’intérêts catégoriels.
En fait, prenant conscience des terribles maux nés de la révolution industrielle, associés à ceux de la Révolution française, la papauté a clairement œuvré pour le droit d’association et c’est, dans ce sens, qu’elle a demandé à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, la renaissance des corporations qui avaient été supprimées par la loi Le Chapelier du 14 juin 1791 :
« Il doit sans doute être permis à tous les citoyens de s’assembler ; mais il ne doit pas être permis aux citoyens de certaines professions de s’assembler pour leurs prétendus intérêts communs ; il n’y a plus de corporation dans l’État ; il n’y a plus que l’intérêt particulier de chaque individu, et l’intérêt général. Il n’est permis à personne d’inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation. »
Les corporations en vue du bien commun
Derrière cette interdiction, qui sera en vigueur en France jusqu’au rétablissement des syndicats en 1864, se profile la conception moderne de l’homme, considéré comme un individu, qui n’est uni aux autres qu’en vertu d’un contrat social et non par le fait de la nature. Dans l’exposé des motifs de sa loi, Le Chapelier ne le cache d’ailleurs pas qui cite des passages entiers du Contrat social de Rousseau.
Sans reprendre le terme de corporation, le pape Jean-Paul II proposera à nouveau cette voie dans son encyclique Laborem exercens, en 1981 :
« Une des voies (…) pourrait être d’associer le travail, dans la mesure du possible, à la propriété du capital, et de donner vie à une série de corps intermédiaires à finalités économiques, sociales et culturelles : ces corps jouiraient d’une autonomie effective vis-à-vis des pouvoirs publics ; ils poursuivraient leurs objectifs spécifiques en entretenant entre eux des rapports de loyale collaboration et en se soumettant aux exigences du bien commun, ils revêtiraient la forme et la substance d’une communauté vivante. » (n. 14)
Et saint Joseph ?
On trouve dans les lectures du bréviaire romain, une explication du sens de la fête de saint Joseph artisan :
L’Église, mère très attentive de tous les hommes, a multiplié les efforts pour protéger et soulager les travailleurs, instituant et favorisant leurs associations que le Pontife Suprême Pie XII a voulu depuis longtemps confier au très puissant patronage de saint Joseph. En effet, saint Joseph, du fait qu’il était le père putatif du Christ qui daigna être appelé charpentier et fils du charpentier, à cause du lien étroit qui l’unissait à Jésus, puisa abondamment cet esprit par lequel le travail est ennobli et dépassé. De manière semblable, ces associations de travailleurs doivent tendre à ce que le Christ soit toujours présent en elles, dans leurs membres et dans les familles de ceux-ci et enfin en toute réunion de travailleurs ; en effet le but premier de ces associations est de garder et de nourrir la vie chrétienne chez leurs membres, et d’étendre le règne de Dieu, surtout chez les compagnons du même atelier.
Cette sollicitude de l’Église envers la nouvelle union des ouvriers a fourni argument au Pape lorsque, saisissant l’occasion d’une assemblée de travailleurs réunie à Rome le 1er mai 1955, il s’adressa à une foule immense rassemblée sur la place Saint-Pierre et recommanda hautement la formation des travailleurs. Car celle-ci à notre époque réclame une place croissante, afin que les travailleurs, pleinement conscients de la doctrine chrétienne, évitent les erreurs qui pullulent relativement à la constitution de la société et aux problèmes économiques, qu’ils connaissent bien l’ordre moral institué par Dieu, que l’Église révèle et interprète, sur les droits et les devoirs des travailleurs, et, devenus participants à la gestion de l’entreprise, collaborent effectivement à son organisation. Car c’est le Christ qui, le premier au monde, a promulgué et transmis à son Église les principes qui demeurent immuables et très puissants pour la solution de ces problèmes.
Et pour que la dignité du travail humain, et les principes qui la fondent se gravent plus profondément dans les esprits, Pie XII institua la fête de saint Joseph travailleur, pour qu’il donne son exemple et sa protection à toutes les unions de travail. À son exemple, en effet, ceux qui exercent les professions laborieuses doivent apprendre selon quel plan et quel esprit ils doivent accomplir leur charge afin qu’en obéissant tout d’abord à l’ordre de Dieu, ils soumettent la terre et contribuent à la prospérité économique, tout en gagnant en même temps les récompenses de la vie éternelle. Et le gardien prévoyant de la Famille de Nazareth n’abandonnera pas ceux qui sont ses compagnons de métier et de travail : il les couvrira de sa protection et il enrichira leurs maisons par les richesses célestes. Très à propos, le Souverain Pontife a ordonné de célébrer cette fête le 1er mai, jour qu’ont adopté les associations de travailleurs. On peut donc en espérer que ce jour, consacré à saint Joseph travailleur, n’exaspérera plus les haines ni n’excitera les conflits désormais, mais que, revenant chaque année, il invitera tous les hommes à accomplir de plus en plus ce qui manque à la paix civile, et même qu’il stimulera les gouvernants à réaliser activement ce que réclame le bon ordre de la communauté humaine.
La sanctification de la vie quotidienne
De son côté, le pape Jean-Paul II, dans son encyclique Redemptoris Custos, consacrée à la figure de saint Joseph, écrit :
Si, dans l’ordre du salut et de la sainteté, la Famille de Nazareth est un exemple et un modèle pour les familles humaines, on peut en dire autant, par analogie, du travail de jésus aux côtés de Joseph le charpentier. À notre époque l’Église a mis cela en relief, entre autres, par la mémoire liturgique de saint Joseph Artisan, fixée au 1er mai. Le travail humain, en particulier le travail manuel, prend un accent spécial dans l’Évangile. Il est entré dans le mystère de l’Incarnation en même temps que l’humanité du Fils de Dieu, de même aussi qu’il a été racheté d’une manière particulière. Grâce à son atelier ou il exerçait son métier et même temps que Jésus, Joseph rendit le travail humain proche du mystère de la Rédemption. Dans la croissance humaine de Jésus « en sagesse, en taille et en grâce », une vertu eut une part importante : la conscience professionnelle, le travail étant « un bien de l’homme » qui « transforme la nature » et rend l’homme « en un certain sens plus homme ». L’importance du travail dans la vie de l’homme demande qu’on en connaisse et qu’on en assimile les éléments afin « d’aider tous les hommes à s’avancer grâce à lui vers Dieu, Créateur et Rédempteur, à participer à son plan de salut sur l’homme et le monde, et à approfondir dans leur vie l’amitié avec le Christ, en participant par la foi de manière vivante à sa triple mission de prêtre, de prophète et de roi ». Il s’agit en définitive de la sanctification de la vie quotidienne, à laquelle chacun doit s’efforcer en fonction de son état et qui peut être proposée selon un modèle accessible à tous : « Saint Joseph est le modèle des humbles, que le christianisme élève vers de grands destins ; il est la preuve que, pour être de bons et authentiques disciples du Christ, il n’y a pas besoin de « grandes choses » : il faut seulement des vertus communes, humaines, simples, mais vraies et authentiques ». (n. 22)
Appliquer la doctrine sociale de l’Église
À sa manière, cette fête du 1er mai, « fête du travail », surélevée par le patronage de saint Joseph, comme artisan, est une invitation pour les chrétiens à œuvrer pour l’amélioration des conditions sociales et économiques dans le respect de la totalité des principes de la doctrine sociale de l’Église. De ce fait, ils participeront au bien commun de leur pays, sans se laisser emporter par les illusions portées par les féodalités modernes : économiques, financières, mondialistes, social-libertaires, particulièrement à l’œuvre aujourd’hui.
Stéphen Vallet
Source L’Homme Nouveau