Comment “l’affaire James Martin” ravive les déchirures du catholicisme américain

Comment “l’affaire James Martin” ravive les déchirures du catholicisme américain

Les positions d’un prêtre LGBT, conseiller du Vatican, sont contestées outre-Atlantique.

Trois conférences du père James Martin ont été annulées après des campagnes de protestation virulentes aux États-Unis. Au centre des débats se trouve un livre sur le dialogue entre l’Église catholique et les milieux LGBT. Retour sur une affaire symptomatique des fractures du catholicisme américain.

L’affaire agite depuis samedi les catholiques américains, frappés depuis longtemps par des fractures profondes : le prestigieux Theological College, séminaire national sous la tutelle de la Catholic University of America (Washington) a annulé la conférence du jésuite James Martin à la suite d’une campagne initiée par plusieurs figures des réseaux catholiques ultra-conservateurs. Cette figure médiatique et populaire – habituée des polémiques, notamment sur les réseaux sociaux – devait intervenir le 4 octobre devant les anciens du séminaire et de la faculté de théologie de l’université. C’est la troisième annulation en quelques jours d’une conférence du prêtre. Leur annonce a suscité une vague d’indignation chez les catholiques.

Pour tout comprendre à l’affaire, il faut remonter quelques mois en arrière. Le 13 juin sort en librairie le dernier livre de James Martin, Building a Bridge (Construire un pont, encore non traduit en français). Le jésuite y développe une réflexion commencée au lendemain du massacre dans une boîte de nuit LGBT d’Orlando et incite les catholiques et la communauté LGBT à construire « un pont à deux voies » pour sortir de l’opposition « “eux” contre “nous” ».

Dès la campagne de parution précédant la parution du livre,l’ouvrage suscite l’ire de certains catholiques qui réclament la condamnation de son contenu par l’épiscopat. Le père Dwight Longnecker, prêtre et blogueur à l’audience large, affirme sur le site de Crux que James Martin est allé « un pont trop loin ». En effet, James Martin a reçu fin octobre 2016 le prix Bridge Building, décerné annuellement par l’association New Ways Ministry. Or cette association œuvrant à la défense des LGBT est en très grande délicatesse avec le Vatican et la conférence épiscopale des États-Unis. Cette dernière a rappelé en 2011 que New Ways Ministry « ne pouvait pas s’identifier elle-même comme une organisation catholique ». Cela n’a pas empêché le cardinal Kevin Farrell, prélat depuis août 2016 du dicastère pour les laïcs, la famille et la vie, d’apporter publiquement son soutien au livre de James Martin, qu’il qualifie même de « bienvenu et nécessaire ». Dernier rebondissement dans l’affaire : le cardinal Robert Sarah, personnellement mentionné dans Building a Bridge, y est allé lui aussi de sa tribune le 31 août dans les colonnes du Wall Street Journal.

Polarisation des positions

La prise de position publique du chef de file des catholiques conservateurs a-t-elle encouragé la campagne en ligne contre James Martin ? Quels qu’en soient les déclencheurs, trois sites en vue (Lifesite NewsChurch Militant et Father Z., le blog du père John Zuhlsdorf) ont critiqué publiquement l’invitation adressée à James Martin par le Theological College. Avant que celle-ci soit rendue publique, LifeSiteNews, l’un des principaux sites catholiques pro-vie du pays, avait même mis en ligne au début du mois une pétition demandant au pape de retirer au père Martin sa nouvelle charge de conseiller du Vatican. Résultat : le Theological College, débordé par les mails, messages et appels de protestation, a annulé la conférence du père Martin par crainte des débordements. Celle-ci, comme les deux autres prises de paroles publiques annulées, ne portait pourtant nullement sur le livre objet du débat.

La situation inquiète nombre de catholiques et de commentateurs américains. Le père James Martin bénéficie du soutien de Matthew Malone, rédacteur en chef de la revue America (à laquelle il contribue), et des supérieurs provinciaux américains. Pour Massimo Faggioli, les actions des « cyber-milices catholiques » « devraient inquiéter tous les catholiques ». « Cette sorte de vitriol change profondément la communion de l’Église catholique, et pas seulement dans son ethos mais aussi dans la manière dont elle fonctionne », estime l’historien, professeur de théologie et d’études religieuses à l’université Villanova de Philadelphie. « Elle signale une nouvelle sorte de censure qui use de violence verbale pour intimider individuellement les catholiques aussi bien que les institutions à l’intérieur de l’Église – institutions qui existent (aussi) pour protéger les droits des catholiques ».

Du côté de la Catholic University of America, on souligne que l’annulation de la conférence est le fait du seul Theological College et que la direction de l’Université n’a pas été consultée ni n’a approuvé cette décision. Mais son président, John Garvey, rappelle aussi que des campagnes similaires ont déjà été menées par des groupes de pression « de gauche » contre des conférences jugées controversées. Charles C. Camosy, co-auteur d’un livre sur la polarisation des positions dans l’Église catholique aux États-Unis, dénonçait en juillet la « haine manichéenne » venant aussi bien de catholiques « de gauche » que « de droite ».

Un point de vue que partage Ross Douthat, chroniqueur pour le New York Times, qui estime par ailleurs dans une tribune que Massimo Faggioli est assez mal placé pour dénoncer l’action de « cyber-milices » : « Il n’y a pas si longtemps, le professeur s’employait lui-même à organiser une campagne en ligne contre ma personne – pressant mon employeur de censurer mes écrits sur le pape et le catholicisme, en raison de mon absence de diplômes théologiques et de mes opinions supposées erronées concernant la doctrine et la foi. »

Les mésaventures du père Martin ne seraient peut-être que les dernières symptômes en date de l’évolution du débat catholique de l’autre côté de l’Atlantique… et, peut-être, au sein de l’Église dans son ensemble.

Source : LA VIE

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