A l’approche de la montée vers Pâques, les informations en provenance de l’Eglise de Chine semblent bégayer. Alors qu’on apprenait en début de semaine que l’évêque « clandestin » de Mindong, un diocèse du Fujian, avait été soustrait à ses prêtres et à ses fidèles par la police, des sources dignes de confiance indiquent que mercredi 12 avril, Mgr Shao Zhumin, évêque de Wenzhou, un important diocèse de la province du Zhejiang, a été convoqué par la police et qu’on est depuis sans nouvelles de lui. Dans un cas comme dans l’autre, la manœuvre des autorités semble être d’empêcher ces évêques de présider les célébrations de la Semaine Sainte, tout en cherchant à faire pression sur eux afin qu’ils s’alignent sur la politique religieuse du gouvernement.
Le 12 avril, des responsables de la Sécurité publique ont demandé à Mgr Peter Shao Zhumin de passer les voir. Ce dernier leur a répondu qu’il ne le pouvait pas, étant accaparé par ses tâches pastorales liées à la préparation des cérémonies de la Semaine Sainte. La police a rétorqué qu’il n’avait pas le choix et qu’il devait se rendre à l’« invitation » des autorités. Selon les informations d’Eglises d’Asie, une voiture de la Sécurité publique est alors venue le chercher. Emmené par les policiers, Mgr Shao a pu pendant un temps communiquer avec ses proches via la messagerie WeChat, avant qu’un officier ne téléphone à un prêtre pour lui demander d’apporter des vêtements pour l’évêque, signifiant par là que l’« invitation » allait se prolonger un certain temps.
Empêcher l’évêque de présider les cérémonies de la Semaine Sainte
De manière évidente, l’objectif de la Sécurité publique est de faire pression sur Mgr Shao, immédiatement après que ce dernier a présidé la messe chrismale, cette célébration qui, entre autres choses, manifeste l’unité de toute la communauté diocésaine autour de son évêque. Important diocèse par le nombre et le dynamisme de ses prêtres et de ses fidèles, Wenzhou est un diocèse qui pourrait être qualifié d’emblématique des efforts que le Saint-Siège déploie pour favoriser l’unité des communautés « clandestine » et « officielle » de l’Eglise locale ainsi que des manœuvres déployées par les autorités chinoises pour entraver ces efforts.
En 2007, l’évêque « clandestin » de Wenzhou, Mgr Lin Xili, qui avait été ordonné à l’épiscopat dans la plus grande discrétion en 1992, est très âgé et affaibli par la maladie (il mourra deux ans plus tard, le 4 octobre 2009). En vue de favoriser l’unité entre les deux communautés « clandestine » et « officielle » du diocèse, Rome décide de nommer comme ordinaire de Wenzhou, le P. Vincent Zhu Weifang, membre du clergé « officiel », avec comme coadjuteur le P. Shao Zhumin, membre du clergé « clandestin ». Le P. Zhu étant alors âgé de 81 ans et le P. Shao ayant 44 ans, il était entendu qu’à la mort de Mgr Zhu, Mgr Shao prendrait la direction du diocèse tout entier.
En agissant ainsi, le Saint-Siège souhaitait favoriser l’unité de l’Eglise dans un diocèse où les « clandestins » sont estimés à quelque 80 000 fidèles, les « officiels » étant moitié moins. Une unité par ailleurs souhaitée par la majeure partie des prêtres de Wenzhou, « officiels » comme « clandestins ». L’unité recherchée s’est cependant heurtée aux manœuvres permanentes d’immixtion des autorités civiles dans la vie de l’Eglise. Depuis le décès, le 7 septembre 2016, de Mgr Zhu, mort à l’âge de 89 ans, Mgr Shao, 54 ans, ne cesse d’être en butte aux tracasseries des autorités. A plusieurs reprises, celles-ci n’ont pas hésité à envoyer Mgr Shao jusque dans la lointaine province du Qinghai pour de longues vacances forcées.
Des signes forts d’unité entre prêtres « officiels » et « clandestins »
L’éloignement contraint de Mgr Shao pour les célébrations à venir du Triduum pascal ne semble toutefois pas parvenir à semer la zizanie dans le diocèse. Selon nos informations, s’il n’est pas certain que prêtres « clandestins » et prêtres « officiels » aient pu concélébrer ensemble, des signes forts d’unité ont été échangés à cette occasion. Il apparaît toutefois que les prêtres « officiels » ont été empêchés par les autorités gouvernementales de récupérer auprès des prêtres « clandestins » les saintes huiles et le Saint Chrême.
Par ailleurs, signe sans doute de leur volonté de contrôler ce qui se passe dans les églises, les autorités ont imposé l’installation de caméras de surveillance devant et à l’intérieur des lieux de culte chrétiens. La mesure a été décrétée pour les églises catholiques comme pour les temples protestants de Wenzhou, sans que l’on sache si elle a vocation à s’étendre dans toute la province ou dans le reste du pays. On se rappelle que ces deux dernières années, le Zhejiang a été le théâtre d’une intense campagne d’abattage des croix, jugées trop voyantes sur les édifices cultuels.
Dans le cas du diocèse de Wenzhou comme dans celui de Mindong, avec les éloignements respectifs de deux évêques, c’est bien le degré de liberté qui est concédé à l’Eglise par le régime en place qui est en jeu. Alors que depuis trois ans Rome et Pékin négocient un accord sur le fonctionnement de l’Eglise en Chine, on peut constater que, là où la succession apostolique se déroule de manière à placer à la tête des diocèses des évêques issus de la partie « clandestine » de l’Eglise ou perçus comme peu « fiables » par les autorités, Pékin s’efforce de semer le trouble afin d’imposer « ses » candidats à l’épiscopat.
Source : Eglises d’Asie