Samedi 18 février dernier, une foule de plusieurs milliers de fidèles, des dizaines de prêtres et plusieurs évêques « clandestins » ont assisté aux funérailles de Mgr Casimir Wang Milu, évêque émérite de Tianshui, décédé quatre jours plus tôt à l’âge de 74 ans. Après la messe, où le corps de l’évêque défunt était revêtu de ses habits épiscopaux, l’inhumation a eu lieu dans un cimetière situé à proximité du village natal de l’évêque, dans le district de Gangu, au Gansu, sans que la police, présente aux alentours, n’empêche le déroulement de la cérémonie.
Mgr Wang Milu appartenait à cette génération d’évêques à qui fut confiée la reconstruction de l’Eglise dans les années 1980 et 1990, à mesure que le pays se relevait des années de la Révolution culturelle (1966-1976) et que les religions avaient à nouveau et timidement droit de cité dans le paysage.
Né le 27 janvier 1943 dans une famille catholique du district de Gangu, région rurale de la province du Gansu (nord-ouest du pays), il entre dès 1956 au petit séminaire de Tianshui, le diocèse auquel appartient Gangu. Il ne sera pas le seul de sa famille à entrer au service de l’Eglise : outre sa sœur Wang Tianxing, devenue religieuse, ses deux autres frères, Wang Ruohan et Wang Ruowang, deviendront prêtres (et même évêque pour Wang Ruowang, l’actuel évêque de Tianshui). Toutefois, la période devient rapidement difficile pour les catholiques : l’Association patriotique des catholiques chinois est fondée en 1957 et la Révolution culturelle est lancée en 1966. Le jeune Casimir Wang n’a pas le temps d’achever sa formation de prêtre qu’il est emprisonné durant trois ans.
Ordonné secrètement à l’épiscopat en 1981
En décembre 1979, Wang Milu est à nouveau arrêté et condamné pour crimes contre-révolutionnaires, mais il est rapidement libéré car c’est à partir de cette époque que Deng Xiaoping lance la Chine sur la voie des réformes. Le jeune Wang Milu rencontre Mgr Joseph Fan Xueyan, évêque de Baoding (province du Hebei), qui venait alors de faire un long séjour dans les prisons chinoises. Mgr Fan lui donne l’ordination sacerdotale en secret en juillet 1980 puis, le 28 janvier 1981, l’ordonne évêque pour Tianshui, alors dirigé par un prélat « patriote », Augustin Zhao Jingnong. Mgr Casimir Wang Milu figure au nombre des trois premiers évêques ordonnés secrètement par Mgr Fan (les deux autres étant Mgr Julius Jia Zhiguo, pour Zhengding, et Mgr Liu Shuhe, pour Yixian).
Jeune et plein d’énergie, Mgr Wang entreprend une tournée à travers la Chine au cours de laquelle il ordonne à son tour plusieurs évêques et bon nombre de prêtres avant d’être arrêté à Pékin au début de 1984. L’un des « crimes » qui motivèrent sa condamnation fut d’avoir « reconnu un pouvoir extérieur, ennemi de la République populaire, et d’avoir cherché à être reconnu de lui », c’est-à-dire du Vatican, au mépris de la Constitution chinoise, qui interdit de « soumettre les questions religieuses au contrôle de puissances étrangères ».
Condamné à dix ans de prison, Mgr Wang sortira un an avant la fin de sa peine, le 14 avril 1993, tout en restant ensuite en liberté conditionnelle et sous surveillance de la police. Il se dévoue néanmoins avec un grand zèle à son Eglise, avant qu’en 2003, le Saint-Siège lui demande de se retirer de toute fonction de gouvernement. Certains de ses actes font en effet douter de sa santé mentale.
Un prêtre dévoué à son peuple
Cité par l’agence Ucanews, un laïc appartenant à la communauté « clandestine » de Tianshui témoigne ainsi : « Certains de ses actes, après sa libération de prison [en 1993] sont difficiles à comprendre. Il y a une vingtaine d’années, il a ainsi ordonné diacre un enfant de 8 ans. » D’autres témoignages rapportent qu’il aurait ordonné prêtre un lama tibétain ou bien encore des hommes mariés ou étant dotés d’un bagage théologique insuffisant. D’autres sources, proches de sa famille, démentent ces informations. Concernant le lama tibétain, il n’aurait ainsi jamais été question d’une ordination sacerdotale, mais simplement d’un baptême. « [Mgr Casimir Wang] avait rencontré un lama ; les deux hommes avaient discuté de leurs fois respectives et le lama s’était montré intéressé par le christianisme. Mgr Wang lui a laissé quelques livres de catéchisme. Lorsqu’ils se sont revus une deuxième fois, le lama a exprimé son désir de se convertir un jour, et l’évêque lui a proposé de le baptiser », rapporte le témoin cité par Ucanews.
Quant au fait d’avoir ordonné prêtres des hommes n’ayant pas suivi une formation suffisante, ce même témoin précise que, dans les années 1980 et 1990, ils furent nombreux à avoir été ordonnés ainsi, sans avoir validé une formation complète au séminaire. Il fallait reconstruire l’Eglise, mise à mal durant les années du maoïsme triomphant. Mgr Casimir Wang ne fut pas le seul à agir ainsi, même s’il est vrai, reconnaît encore le témoin, qu’en acceptant d’ordonner des candidats qui avaient été refusés par d’autres diocèses ou d’ordonner des hommes mariés, il a pu causer « quelques désordres et critiques ». Son propre frère, Mgr Wang Ruowang, l’actuel évêque de Tianshui, « a dû y mettre bon ordre, en conformité avec le Code de droit canon ».
En dépit de ces difficultés, Mgr Casimir Wang laisse le souvenir d’un prêtre profondément « bon et animé par un vrai amour pour son peuple », témoigne un certain Peter à l’agence Ucanews. « Sur un plan moral, il n’a jamais prêté le flanc à la critique. Et s’il n’a pas toujours été à la hauteur en tant qu’évêque, il était un très bon prêtre », rapporte encore Peter. « A travers toutes ces années et en dépit des difficultés, il a eu à cœur d’évangéliser sans relâche, en visitant les fidèles, sans cesse sur les routes de montagne. Tous ceux qui ont été proche de lui savent qu’il menait une vie frugale, qu’il était un pauvre dévoué au service des pauvres, à qui il apportait les sacrements et un vrai réconfort pastoral », dit-on encore à son sujet.
Témoignage de sa place particulière dans l’histoire de l’Eglise de ces quarante dernières années, nombreux étaient les évêques présents à Gangu pour ses funérailles, ce 18 février. Issus des rangs « clandestins » de l’Eglise de Chine, ils étaient venus des provinces du Hebei, du Hubei, du Heilongjiang, du Shanxi et du Shaanxi, ou bien encore de Chongqing.
Source : Eglises d’Asie