Un mois avant la clôture de l’Année de la miséricorde, la tension monte au sein de l’Eglise catholique en Chine. Tandis qu’une nouvelle session de négociations entre le Saint-Siège et le gouvernement chinois doit avoir lieu dans les prochains jours, des rangs de la partie « clandestine » de l’Eglise surgissent des « évêques » qui n’ont pas été nommés par le pape.
De l’Eglise catholique en Chine, chacun savait qu’elle était divisée en une partie « officielle », s’accommodant peu ou prou de la tutelle de l’Association patriotique des catholiques chinois, et d’une partie « clandestine » qui refusait d’avoir affaire avec cette structure conçue par le pouvoir communiste chinois pour contrôler l’Eglise de Chine. Toutes les tentatives issues ces dernières temps des rangs des catholiques chinois pour parvenir à une unité dépassant cette division « officiel » / « clandestin » se heurtaient systématiquement aux manœuvres du pouvoir en place, comme en témoignent les difficultés faites au diocèse de Wenzhou ces dernières semaines.
Un évêque « clandestin » non reconnu par Rome
L’apparition publique d’un « évêque » de la partie « clandestine » de l’Eglise non reconnu par Rome vient compliquer la présentation schématique de l’Eglise de Chine comme étant une communauté divisée sur une ligne de fracture « officiels » / « clandestins ». Depuis le 10 octobre, l’Internet catholique chinois bruisse en effet des conséquences du surgissement public de « Mgr Paul Dong Guanhua » comme « évêque » de Zhengding, un diocèse numériquement important de la province du Hebei.
Selon les informations qui circulent sur l’Internet chinois, le P. Paul Dong Guanhua a annoncé le 22 mai dernier qu’il avait été ordonné évêque il y a onze ans, en 2005, une ordination menée dans le secret par Mgr Casimirus Wang Milu, évêque jusqu’en 2003 de Tianshui, un diocèse de la province du Gansu.
Mgr Wang Milu est connu depuis longtemps pour ne pas avoir toute sa tête – et c’est la raison pour laquelle il lui avait été demandé de quitter la direction de son diocèse en 2003 –, et lorsque Rome a eu vent de cette ordination menée sans son assentiment préalable, il fut demandé au P. Dong d’observer la plus grande retenue et de ne pas exercer un quelconque ministère épiscopal. Le P. Dong s’est conformé à ces instructions jusqu’à ces derniers mois. Le 22 mai, lors d’une messe dominicale, il a commencé par rendre publique son ordination remontant à 2005, et, plus récemment, le dimanche 11 septembre, il est apparu lors d’une messe en portant la mitre et la crosse épiscopales.
Le P. Dong Guanhua revêtu de ses ornements épiscopaux. (DR)
Excommunication « latae sententiae »
La réponse de l’évêque légitime de Zhengding, Mgr Julius Jia Zhiguo, qui lui-même est un évêque « clandestin » nommé par le pape mais non reconnu comme tel par Pékin, n’a pas tardé : le 13 septembre, Mgr Jia a publié un communiqué annonçant l’excommunication « latae sententiae » (i.e. automatiquement encourue par l’acte posé) du P. Dong pour avoir accepté la consécration épiscopale sans mandat pontifical ; l’évêque de Zhengding, qui avait il y a plusieurs années déjà suspendu le P. Dong de son ministère de prêtre, citait expressément l’article 1382 du Code de droit canonique portant cette sanction d’excommunication.
De son côté, le P. Dong affirme que son ordination épiscopale est licite et légitime car menée selon les dispositions spéciales accordées par Rome aux évêques chinois dans les années 1980. Ces dispositions prévoyaient qu’en cas de persécution, les évêques pouvaient nommer et ordonner leurs successeurs sans en référer au préalable au pape ; ils pouvaient aussi nommer l’évêque d’un diocèse voisin sans pasteur. Ces dispositions ont toutefois été révoquées en 2007 par la « Lettre aux catholiques chinois » du pape Benoît XVI. A l’agence Ucanews, le P. Dong a précisé qu’il avait lui-même ordonné le 7 septembre dernier un évêque âgé de 51 ans, mais que l’identité de ce dernier ne pouvait être dévoilée car l’intéressé était « surveillé par le gouvernement ». Selon nos informations, entre cinq et dix « évêques » ont été ordonnés ces dernières années au sein des communautés « clandestines » de Chine sans que le pape n’ait donné son assentiment à ces ordinations. Cinq à dix évêques qui se rajoutent au trente évêques « clandestins » jusqu’ici dénombrés en Chine continentale.
A ce stade se pose la question des raisons qui ont poussé le P. Dong à afficher aussi publiquement son épiscopat. Une raison possible est que, selon des sources ecclésiales concordantes, une nouvelle session de négociations entre Rome et Pékin se prépare. Depuis juin 2014, les délégations du Saint-Siège et de la Chine se sont réunies au moins six fois pour trouver des solutions à la situation complexe de l’Eglise en Chine ; elles devraient se rencontrer à nouveau d’ici à la fin de ce mois d’octobre. Or, il semblerait que les négociateurs évoquent la clôture de l’Année de la miséricorde – qui sera célébrée le 20 novembre prochain – comme une date possible pour que le pape François accorde son pardon aux huit évêques « officiels » illégitimes, ces huit évêques qui, au sein de la partie « officielle », ont été ordonnés évêques sans le consentement de Rome et dont l’excommunication a été, pour trois d’entre eux, affirmée publiquement par Rome en 2011-2012 au titre du même article 1382 du Code de droit canon.
Des négociations incomprises par certains dans l’Eglise
Dans l’esprit d’une partie des catholiques « clandestins », il est très difficile d’imaginer que le pape réintègre dans la communion de l’Eglise ces huit évêques « officiels » sans faire de même pour les évêques « clandestins » qui ont été ordonnés sans mandat pontifical. En filigrane se lit la frustration de certains milieux « clandestins » à l’endroit de Rome qui ne comprennent pas les négociations menées actuellement par le Saint-Siège avec Pékin. Ils ressentent notamment que, tout au long de ces dernières années, Rome n’a pas nommé d’évêques « clandestins » mais seulement des administrateurs apostoliques pour s’occuper de leurs communautés, et ils craignent que Rome accepte de conclure un accord avec Pékin qui ne suffise pas à garantir le degré de liberté religieuse auquel ils aspirent pour l’Eglise en Chine.
Un événement est passé relativement inaperçu ces derniers jours et c’est peut-être lui qui a suscité les tensions auxquelles on assiste actuellement. Le 5 octobre dernier, à l’issue de la traditionnelle audience du Saint-Père place Saint-Pierre, le pape François a posé pour une photo devant un groupe de pèlerins chinois emmené par Mgr Joseph Xu Honggen. Mgr Xu est évêque de Suzhou, dans la province du Jiangsu ; évêque « officiel », il est reconnu tant par Rome que par Pékin. Si ce n’est pas la première fois qu’un évêque chinois voit le pape, de telles rencontres, ces dernières années, ont été menées dans la plus grande discrétion, qu’il s’agisse d’évêques « officiels » ou « clandestins ». Cette fois-ci, le caractère public de la rencontre a été très mal vécu par les milieux « clandestins », qui y ont vu comme une affirmation du pouvoir de l’Association patriotique des catholiques chinois, car Mgr Xu, selon eux, n’a pu rencontrer le pape qu’avec l’autorisation de l’Association. Au même moment, dans le diocèse de Wenzhou, Mgr Shao Zhumin était empêché par la police chinoise d’exercer son ministère d’évêque alors même que Rome souhaite le voir prendre la tête de l’ensemble de la communauté catholique locale, « clandestine » et « officielle ».
La photo de Mgr Xu Honggen place Saint-Pierre aux côtés du pape, le 5 octobre 2016, a rapidement fait le tour du Web catholique chinois. (DR)
Pour certains observateurs proches des milieux ecclésiaux chinois, en l’absence d’informations précises sur la forme que pourrait prendre un éventuel accord entre la Chine et le Saint-Siège, la « sortie » médiatique d’un Dong Guanhua, au-delà des limites du personnage, souligne le risque très réel de voir un schisme se produire au sein de l’Eglise en Chine. Un risque souligné depuis plusieurs années par le cardinal Zen Ze-kiun, évêque émérite de Hongkong, qui a régulièrement alerté sur le sentiment d’isolement que les catholiques « clandestins » pouvaient ressentir face à la perspective de devoir un jour être intégrés à une Eglise « officielle » incapable de se défaire du contrôle étroit que le gouvernement en place exerce sur toutes les religions présentes en Chine.
Source : Eglises d’Asie