Bandol : quand un village se consacre à Marie

Bandol : quand un village se consacre à Marie

Depuis plus de 300 ans, la petite ville de Bandol (Var) voue une vénération particulière à Notre Dame de Grâce sous la forme d’une statue, présente dans l’église depuis sa construction. Très peu connue en dehors de son environnement immédiat, la statue, qui est à l’origine de plusieurs phénomènes extraordinaires, se trouve indissociablement liée à l’histoire de la commune ; c’est un exemple typique de la continuité d’une dévotion mariale locale.

d’Alain Vignal sur Notre histoire avec Marie:

La renaissance d’un port en Provence. Célèbre station balnéaire des bords de la Méditerranée, occupée dès l’époque romaine comme l’atteste la découverte de certains vestiges, Bandol a complètement disparu à la fin de l’Antiquité sous l’effet des Grandes invasions du Ve siècle. La population a fui la côte devenue peu sûre et s’est réfugiée dans les villages perchés de l’intérieur (la Cadière, le Castellet, le Beausset…). Pendant tout le Moyen Âge, le port n’est pas occupé de manière permanente et son territoire dépend de la seigneurie de la Cadière. Sa renaissance est l’œuvre d’une famille de seigneurs provençaux, les marquis de Boyer. Antoine Boyer, originaire de la ville voisine d’Ollioules, est officier de l’armée d’Henri IV pendant la dernière guerre de Religion (1585-1598). Chargé de construire un fort sur la presqu’île dite de la Motte de Bandol pour se prémunir d’une incursion espagnole, il s’acquitte de sa tâche en 1595. La guerre terminée, le roi récompense la fidélité et la bravoure d’Antoine : il lui offre le fort comme fief personnel, lui donne le privilège de la pêche au thon à la madrague (un vaste filet soutenu par plusieurs bateaux) sur toute la côte provençale, puis un titre de noblesse (1604). C’est la naissance d’une grande famille noble de Provence. Antoine de Boyer construit un château sur le fort (1610), mais continue d’habiter Ollioules.

Marie au cœur d’un nouveau lieu de culte. Dans son testament du 18 novembre 1675, Jules de Boyer, le fils d’Antoine, décide de construire une chapelle dans le château de Bandol. L’évêque de Marseille, dont dépend alors la région, donne son autorisation par ordonnance du 31 juillet 1679 ; la chapelle est consacrée à la Nativité de la Vierge Marie, fêtée le 8 septembre. D’usage familial, elle est de petites dimensions (4 mètres 50 sur 4 mètres), mais est décorée de belles tapisseries provenant de la manufacture des Gobelins à Paris. Elle contient aussi une statue en bois d’olivier, sculptée par les ateliers du célèbre artiste marseillais Pierre Puget, représentant Notre Dame de Grâce (parfois dénommée « Notre Dame de Grâces »). Pourquoi cette appellation ? Peut-être est-ce une allusion à Notre Dame de Grâces de Cotignac, sanctuaire également situé en Provence, que Louis XIV venait de visiter quelques années plus tôt (en 1660) pour remercier du miracle de sa naissance. Comme à Cotignac, Marie trône en effet sur un croissant de lune (cf. Apocalypse XII, 1), mais sa représentation est assez différente : elle écrase en même temps le serpent, symbole du tentateur (cf. Genèse III, 15), elle rassemble ses mains sur la poitrine en signe d’humilité et elle ne porte pas l’Enfant Jésus. Une couronne d’étoiles dorées lui a ensuite été ajoutée pour rappeler la femme de l’Apocalypse. Avant le XIXe siècle, c’est souvent comme cela qu’on représente l’Immaculée Conception (l’Italien Giovanni Battista Salvi ou le Corse Giacomo Grandi par exemple). C’est en tout cas l’objet qui est présent depuis le plus longtemps dans le patrimoine de Bandol. La statue a notamment échappé au pillage du 31 juillet 1707 effectué par les troupes sardes au moment du siège de Toulon ; les hommes du comte de Barville arrivés au plus vite ont permis d’empêcher une destruction totale, comme l’attestait un ex-voto hélas disparu.

Marie au cœur d’une communauté paroissiale. Après plusieurs décennies de conflit avec la seigneurie de la Cadière, François de Boyer-Foresta parvient à obtenir la création d’un fief indépendant à Bandol. L’Acte de séparation est signé le 12 août 1715. Deux jours plus tard, le seigneur rédige un Acte d’habitation conclu avec sept colons venus exploiter le terroir agricole : ce sont les sept premiers habitants de Bandol. Ils sont rapidement suivis de beaucoup d’autres ; malgré l’épisode dramatique de la peste de 1720, Bandol connaît durant le XVIIIe siècle une des plus fortes croissances démographiques et économiques de la Provence (269 habitants en 1732, 619 en 1750, 1216 en 1790). Le commerce des vins de Bandol, connus à la table de Louis XV, assure la prospérité à la petite communauté et attire de jeunes foyers venus de toute la Provence, voire des pays voisins. Or, de nombreux documents montrent que la religion catholique constitue un puissant ferment d’unité permettant d’assembler une population très diverse. Dès 1719, les pères de famille s’unissent en syndicat (l’ancêtre d’un conseil municipal), notamment dans l’objectif de construire une église. Par ordonnance du 31 mars 1730, la chapelle du château devient succursale de la paroisse de la Cadière : on peut y célébrer baptêmes et enterrements. Mais elle devient vite trop exiguë pour accueillir la foule des fidèles. En 1746, le syndicat décide de s’endetter pour bâtir une église digne de ce nom, qui sera remboursée grâce à la taxe sur le transport des vins. Le maçon Joseph Suquet construit donc au centre du village l’église Saint-François de Sales, de style jésuite, que Mgr de Belzunce, évêque de Marseille, bénit le 18 octobre 1748. Par ordonnance du 5 juin 1751, l’église est érigée en paroisse. En signe de bonne entente, le seigneur fait alors transférer la statue de la Vierge dans l’église, où elle demeure toujours. L’église est le centre d’une vie spirituelle très active : deux chapelles latérales sont ouvertes en 1773 (côté est) et en 1783 (côté ouest), avant d’être réunies au bâtiment principal ; pas moins de sept confréries sont fondées, la première étant dédiée à Notre Dame du Rosaire en 1744. Bénéficiant de la confiance de la population, le curé Jean-Baptiste Gardon est élu député aux États d’Aix (Bouches-du-Rhône) en 1776 pour défendre un projet d’agrandissement du port, puis premier maire de la commune de Bandol en 1790.
Marie présente dans les vicissitudes de la vie d’un village. Au-delà de tous les changements politiques ou sociaux, Notre Dame de Grâce reste au cœur des événements joyeux ou malheureux que la commune a vécus depuis ses origines et leur procure souvent une tournure extraordinaire. En 1793, sous la Révolution, c’est par fidélité à la religion catholique que les Bandolais, menés par leur nouveau curé Louis Jonquier, choisissent de soutenir la révolte fédéraliste toulonnaise contre la Convention montagnarde de Robespierre. Peu avant la reprise de Toulon, les fédéralistes bandolais sont arrêtés (l’abbé Jonquier et son secrétaire seront guillotinés début 1794), mais 32 personnes sont sauvées d’une mort certaine par l’intervention inattendue d’André Pons de l’Hérault, ami du jeune Napoléon Bonaparte qu’il invite à Bandol pour son premier repas de général. Pons restera en lien avec Bandol ; un demi-siècle plus tard, sa fille Herminie offrira deux tableaux à l’église. À la fermeture de l’église pendant la Terreur, la statue de Notre-Dame de Grâce est cachée au quartier Pierreplane dans un champ, sous des sarments de vigne par un pieux paysan, Piche. Lorsque Marie revient dans l’église vers 1802, apparaît dans le champ une source d’eau pure (pourtant proche de la mer), qui sera plus tard aménagée (le puits Chèche). Lors des inventaires de 1905, la statue est de nouveau cachée et laisse l’empreinte de son pied près de la villa La Lola (la trace a disparu lors d’une rénovation de la chaussée dans les années 1930). Chaque fois, pour remercier Notre Dame, on la recouvre d’or, mais son humilité fit que la pellicule ne tint jamais… En 1882, une procession en son honneur arrête net une épidémie de scarlatine parmi les enfants de Bandol. Les processions sont interdites par la mairie en 1885, mais les paroissiens protestent en restaurant la statue et en la promenant dans l’église.

Marie toujours présente aujourd’hui. Placée depuis le XIXe siècle dans la nef ouest de l’église, longtemps environnée de nombreux ex-voto, Notre Dame de Grâce est toujours honorée par les Bandolais. Lorsqu’un prêtre tenta un jour de la remiser au grenier, la réprobation des paroissiens fut unanime. Dans les années 1960, l’abbé Henri Coutance récupéra un autel en marbre provenant d’une chapelle de la Cadière (qui allait devenir un comptoir de bar !) et un retable baroque pour la mettre en valeur. En 2012, le père Marius Boyer a complété le retable par une toile représentant la Madone des pèlerins du Caravage, peinte par l’artiste local Daniel Ballay. Malgré la signalisation discrète de l’histoire de la statue, nombreux sont les Bandolais ou les personnes de passage qui viennent se confier à Notre Dame de Grâce.

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