Il peut sembler surprenant, de prime abord, de voir Dieu disperser les peuples, les diviser mêmes, les forcer à ne pas s’entendre. Dieu serait mesquin et jaloux de son pouvoir absolu ? Serait-il comme ces idoles de bois pour avoir peur du pouvoir des hommes ?
Voici une lecture bien rapide des versets relatant la dispersion de Babel. Dieu part d’un constat. « S’ils commencent ainsi, rien ne les empêchera désormais de faire tout ce qu’ils décideront. » Le problème n’est pas une lutte de pouvoir, mais de décision pour agir. Ce qu’entrevoit Dieu c’est qu’unis ainsi, les hommes n’auront plus de limites, plus de contradicteurs. Or la contradiction est essentielle dans le processus d’élection et dans l’émulation vers le bien.
Ce que perçoit Dieu, c’est que l’uniformisation va appauvrir l’humanité par une forme d’unanimité mortifère pour le discernement et contraire à la liberté et la responsabilité. C’est contre une forme de dictature de l’unanimité, que Dieu veut prévenir l’Homme. Dieu, qui sait combien la responsabilité et l’épanouissement passent par la prise de décision assumée et non normalisée, se préoccupe à cet instant de l’avenir même du libre arbitre. Il prévient la pensée unique qui formate et annihile la capacité de choix et avec elle la possibilité même de l’amour, puisque l’amour ne peut être contraint.
Alors que fait Dieu ? Il va pousser les hommes à chercher les réponses ailleurs que dans les certitudes aveugles de la pensée uniformisée. Il va envoyer les humains de par le monde, chercher la vérité, apprendre des autres, découvrir.
Bebel n’est pas la fin d’un monde irénique de paix, mais la fin d’un orgueil aveugle autosuffisant. Babel est le début d’une quête de vérité, d’une quête de sens existentielle en dehors de son propre monde, clos et sécurisé. Babel vaut tout autant pour une cité que pour mon âme, close de certitudes dans une haute tour d’ivoire, asséchée par manque de quête de vérité.
Du reste, Dieu ne fait pas descendre sur Babel la division, procédé diabolique, mais il embrouille les esprits. Ce qui est le sens de Babel. Or ce Babel, sorte d’élixir perturbateur se révèle comme tout pharmacos antique, à la fois poison et remède. Un poison qui sème la confusion en ouvrant les esprits.
Car l’embrouillamini des âmes à Babel est celui d’esprits qui sortent d’une torpeur et prennent conscience d’une altérité et de l’existence d’une réalité différente de leur certitude.
Et si l’on regarde bien, c’est pour sauver les hommes de leur enfermement et de leur orgueil que Dieu les disperse créant ainsi la diversité, la confrontation, l’altérité, la différence dans la recherche d’une même destinée. Nous constatons aujourd’hui de façon expérimentale, l’appauvrissement d’un monde qui s’uniformise qui nie les distinctions. Babel veut se reconstruire et, comme dans la Bible, le monde de l’intelligence s’obscurcit et l’étendue de la quête se réduit comme peau de chagrin, au point de se limiter à l’Homme lui-même.
Tel n’est-il pas le drame de l’humanisme athée dénoncé par le cardinal de Lubac ?