De tout temps, l’enfant à naître a été l’objet d’interrogations. A partir des années 80, la technique de l’échographie révèle les divers stades de son développement. Que sait-on de plus aujourd’hui? Un livre passionnant rassemble les éléments scientifiques disponibles, pour éclairer les décisions à prendre au tout début de la vie. Rencontre avec son auteure, Anne Schaub.
Son dada, c’est les bébés, les « petits d’Homme », même avant leur naissance! C’est donc d’abord à un tour d’horizon de la vie prénatale qu’Anne Schaub nous invite. Dans un style clair et direct, les différents chapitres font alterner épisodes vécus et description de ce que le tout-petit peut ressentir des événements extérieurs. Comme un coup de projecteur sur la continuité entre le temps passé dans le sein de sa mère et celui où il se sentira dans ses bras. Car c’est bien le domaine sensitif qui est le plus développé à ce stade et qui va façonner les mémoires précoces et inconscientes de l’enfant; sa vie émotionnelle ne commence pas à l’accouchement.
Un abandon organisé
Inspirée par Françoise Dolto et forte de son expérience de psychothérapeute spécialiste de la petite enfance, l’auteure parle de ce qu’elle connaît. Elle met en parallèle les traumatismes les plus variés, qu’elle a pu observer et désamorcer chez des jeunes, et les diverses situations dramatiques racontées par leurs parents. Elle a constaté que tout ce qui s’est passé durant la grossesse, au moment de la naissance et dans les semaines qui suivent, influence durablement l’être humain. En particulier si des événements douloureux ne lui ont pas été expliqués, lui laissant un souvenir diffus et provoquant un mal-être durable.
Anne Schaub s’appuie également sur les dernières découvertes en neurosciences, en biologie ou en imagerie médicale, et décrit nombre de cas concrets, leur origine et leur incidence.
Ses inquiétudes concernant la gestation pour autrui (GPA) sont alors bien compréhensibles. Elle tire la sonnette d’alarme face à l’organisation « de façon construite et réfléchie » d’un abandon. On apprend d’ailleurs qu’un rapport de l’Académie de Médecine française précise que cette pratique ne constitue en rien un progrès scientifique. Les enjeux méritent donc d’en être réévalués…
Cette synthèse très documentée et truffée de références vérifiables sur internet vient donc alerter sur les dangers évitables à l’aube de la vie. Accessible et tonique, elle s’adresse autant aux familles qu’aux professionnels de la santé et de l’enfance.
Comment vous est venue l’idée de ce livre?
Fin 2014, j’ai été invitée comme oratrice à une conférence-débat sur les mères porteuses. La gestation pour autrui (GPA) n’était pas directement mon sujet mais je souhaitais informer le grand public sur les enjeux du tout début de l’existence. Dans mon travail en effet, quelle que soit la souffrance de l’enfant pour laquelle les parents viennent consulter, je reviens toujours aux mémoires précoces du tout-petit, depuis sa conception. Je me suis dit que si, dans un contexte « naturel » de gestation, on observe déjà des troubles à la suite de certaines circonstances perturbantes d’entrée dans l’existence, on peut aisément en déduire que pour l’enfant né par GPA qui rencontre des mêmes types d’événements, le risque est élevé qu’il en découle des souffrances. On retrouverait les symptômes rencontrés dans mon cabinet, lors des consultations tout à fait objectives et réelles, chez les enfants que j’ai reçus.
D’autres invitations à parler ont suivi à Paris et à Lille et ensuite au Parlement européen. C’était alors incontournable de rassembler cet énorme travail de recherche.
Quelle a été votre approche?
Pour moi, c’est très important de me baser sur des fondements scientifiques, parce que ce n’est pas une affaire affective. Le problème, c’est que le discours médiatique est très affectif et on a tendance à prendre la psychologie comme étant de l’interprétation, de la sensibilité, selon le psychologue qui parle. C’est important que le lecteur réalise ce qui se passe objectivement, c’est-à-dire sur le plan biologique, cellulaire et sensoriel. On parle surtout du désir parental et du droit à l’enfant… J’ai voulu mettre le focus sur le principal intéressé: l’enfant et son vécu. Face à la « toute-puissance » du désir de l’adulte, je tente de faire entendre le « cri secret » de ces tout-petits qui n’ont pas de voix pour dire la résonance douloureuse qui va s’imprimer en eux, durablement, comme sur une carte-mémoire.
Vous ne restez pas trop théorique?
Je privilégie une approche basée sur des témoignages forts, des histoires de vie glanées au fil des ans dans ma profession. Remettre d’abord le lecteur en contact avec ce qui est reconnu scientifiquement quant aux fondations de l’être humain et de sa sensibilité primitive extra-fine, pour qu’il soit à même de transposer ce que je dis, dans la GPA. Des données humaines sont là, qu’on ne peut plus nier aujourd’hui. Par exemple, le fait que le petit, à la naissance, perçoit très bien qui est sa mère et qui ne l’est pas. L’enfant est encore totalement immature sur le plan cognitif et psychologique. Seuls ses sens, ses émotions et ses capteurs intuitifs sont en jeu et à fleur de peau.
Votre livre a-t-il trouvé un écho auprès du corps médical?
Oui. Je pense à cette laborantine extrêmement interpellée, travaillant dans un centre de PMA (Procréation Médicalement Assistée) et qui se pose beaucoup de questions sur son propre travail. Elle avait une vague intuition qui la dérangeait profondément concernant un aspect « apprenti-sorcier » dans sa pratique, mais elle ne le formulait pas. D’autres m’ont dit avoir trouvé dans le livre des arguments et des mots concernant ce qui est bon pour un enfant ou ce qui peut lui faire du tort.
D’autres encore témoignent de façon vraiment touchante du chemin qu’ils ont fait pour eux-mêmes face à leur propre histoire… Un soignant voyait la GPA dans le sens d’une entraide magnifique face à la souffrance de ceux qui ne peuvent pas avoir d’enfant. A la suite du livre il a conclu: « Plus jamais je dirai que je suis pour la GPA! J’ai compris le drame que cela représentait pour le tout-petit. » Ce qui est intéressant, c’est que les personnes sensibilisées au problème font circuler le livre dans leur service.
Que répondre à ceux qui affirment qu’on n’a pas le recul nécessaire pour interdire la GPA?
La psychologie infantile se développe depuis près d’un siècle. On a largement commencé à considérer le bébé comme une petite personne, déjà bien compétente surtout sur le plan de sa sensorialité. Les neurosciences mettent en évidence, d’une part, cette disposition naturelle du tout-petit à s’attacher à sa mère biologique, à l’identifier très personnellement et, d’autre part, un stress et une angoisse de séparation que cela entraîne chez lui s’il en est éloigné. Les psychologues en parlent. On le sait, notamment pour les enfants adoptés. Alors que veut-on encore comme « preuves »? Dans toutes sortes de pathologies infantiles, on trouve souvent les causes dans les traumatismes de la petite enfance… Et on va demander des preuves pour la GPA où l’enfant grandit dans le ventre d’une femme qui, génétiquement, n’est pas sa mère puis, à la naissance sera retiré des bras de celle dont tous ses sens ont été imprégnés, pour ensuite arriver dans les bras de parents inconnus… et on voudrait fermer les yeux sur l’impact de ces étapes pour le nouveau-né?… Un tel déni des dommages potentiels, c’est hallucinant!
Propos recueillis par Sabine PEROUSE
Un cri secret d’enfant, Anne Schaub-Thomas, Ed. Les Acteurs du savoir, 2017.